Par Thomas Cordova
Nino / de Rébecca Déraspe / mise en scène de Yvan Rihs / POCHE Genève / du 05 décembre 2016 au 29 janvier 2017 / Plus d’infos
Quel est le rapport entre être enceinte et préparer son suicide ? Ou plutôt : est-ce que devenir mère, c’est nécessairement enterrer une femme ? Non, non, non ! Mettre au monde pour tirer une révérence ? Rébecca Déraspe s’attaque à cette problématique avec piquant et nous dresse le portrait de toutes les mères qui ont oublié d’être femmes.
Une fête d’anniversaire, des amis, de la famille et un gosse. La scène est toute trouvée, quoi de plus merveilleux pour dresser une satire ? Mieux : la fête, c’est celle du gosse, il a un an et il braille. Alors oui, à des fêtes comme ça, tout le monde a déjà été convié. On trouve une excuse, on se désiste et, s’il n’y a pas de lien parental ou amical trop fort, eh bien on y échappe. Heureusement, avec Nino on n’a qu’à observer, pas besoin d’apporter de cadeau. Et tout le jouissif est là : dans l’observation !
Le gamin pleure, évidemment. Chacun y va de son propre raisonnement, de sa méthode et tous se tournent vers la mère, dernier juge et responsable de l’interminable mélopée. Là se trouve toute la problématique : les pleurs font d’elle une mère, inconditionnellement. Pire, une mauvaise mère, les larmes du gosse ne sont pas prêtes de se tarir. Impossible d’y échapper, l’enfant, qui n’est pourtant pas sur scène, impose son omniprésence mélodique. La femme n’est plus, tous veulent que la mère rende des comptes. Les amis, le père, la belle-sœur : chacun propose sa version de ce qu’est une bonne mère : comment s’occuper de son enfant de la meilleure façon, comment ne pas le traumatiser, ne pas le briser, cette chose fragile, certes emmerdante mais toute belle dans sa pleine potentialité. Une fête d’anniversaire peut parfois prendre des airs d’enterrement : faut-il pour qu’un fruit mûrisse qu’une fleur se fane ?
Les mots comme les personnages sont caricaturaux. Chaque chose qui se dit est un cliché entendu mais retravaillé dans un texte qui percute. Les relations entre la mère et son entourage sont explorées à travers l’exagération. Et on s’y retrouve. L’organisation de l’espace souligne le discours. L’appartement sur plusieurs étages permet parfois quelques situations burlesques. L’incompétence du père, par exemple, est reflétée par son incapacité à gravir les deux échelles qui le séparent de la chambre de son fils. Bref, tout est à sa place et ça fonctionne. Sans oublier qu’avec l’entreprise Sloop3 et le peu de temps que les artistes ont eu pour assimiler la pièce, le défi était de taille.
Pensez maintenant à ces femmes qui, dans leur sainte grossesse, ont parfois, par hasard, jamais véritablement, oui, bon… pris quelques kilos. Eh bien, le poids gagné n’est malheureusement jamais métaphorique, surtout quand il perdure au niveau des hanches. Ou plutôt si, dans notre société toute esthétisée où l’on se gargarise de courir pour aller nulle part, il est la métaphore d’une métamorphose : femme ou mère, mère ou femme, est-ce que l’on doit vraiment choisir ?