Par Alice Moraz
Miss Poppins / The Divine Company / adaptation et mise en scène Stefania Pinnelli / Le Petit Théâtre / du 7 au 31 décembre 2016 / Plus d’infos
Magique ! C’est bien l’impression que laisse Miss Poppins, spectacle basé sur le livre de Pamela Lyndon Travers et adapté par The Divine Company. Les comédiens se jouent des difficultés techniques et donnent à voir une version enchanteresse de la célèbre histoire.
Veuf et débordé par son travail, Mr. Peterson se désespère de l’effet que fait sa fille sur ses gouvernantes qui prennent la fuite les unes après les autres. Il voit donc arriver Miss Poppins d’un œil perplexe sans se douter qu’il est sur le point de laisser entrer un souffle de magie dans sa maison. C’est une gouvernante un peu old school mais résolument imaginative qui remporte la confiance d’Emma. Elle est accompagnée de son complice Tim, aussi à l’aise dans son rôle de facteur que de motard ou de constructeur en bâtiment et qui pourrait presque être la version fantaisiste du père d’Emma. La version de Denis Correvon et Stefania Pinnelli met en avant les qualités maternelles de Miss Poppins et exploite sur le plan scénique ses ressources magiques. Cette femme est bien décidée à ce qu’Emma ne se laisse pas formater par le monde actuel. Elle l’emmènera dans une forêt imaginaire ou auprès d’un marchand qui propose les bonbons du « langage universel », celui que l’on perd en devenant adulte. Le goût de la gouvernante pour les mots et l’imagination convoque Cyrano de Bergerac à venir partager une partie de sa tirade du nez et fait sortir l’air de la Reine de la nuit d’un livre de chant : des références littéraires et musicales qui plairont aux plus grands.
On pardonnera volontiers les petites leçons de morale qui sonnent quelques fois comme des clichés tant l’ensemble est bien mis en scène : les difficultés dues à la taille du plateau sont résolues pour présenter tous les espaces à partir des mêmes éléments de décors qui sont déplacés ou transformés et les effets magiques se glissent dans la pièce avec une étonnante fluidité. Car il fallait non seulement trouver des astuces pour retranscrire l’atmosphère magique qui plane dans la légendaire œuvre mais aussi les adapter au média particulier qu’est le théâtre. Chapeau bas au comédien et magicien Pierric Tenthorey à qui les responsables de la conception ont confié la création des effets magiques. Comme il a généreusement partagé ses secrets, les autres comédiens peuvent eux aussi transformer une pomme en poire, plus au goût d’Emma (qui passe du pyjama à la robe en un tour de main) ou verser un bol d’air frais puis un liquide aromatisé à la fraise avec une théière aux couleurs pastel. Et c’est sans difficulté apparente que la gouvernante fait rentrer son parapluie entier dans un sac qui donne l’impression de contenir tous les trésors du monde.
Les différents espaces se déploient tous à partir d’une base composée d’un plateau central. Les murs sont matérialisés par de larges bandes élastiques par lesquelles peuvent entrer et sortir les comédiens. Les décors se hissent sous nos yeux : des arbres en cartons sortent de sous les planches, sont tendus vers le haut par des câbles puis s’illuminent, lorsque les personnages passent du monde réaliste à celui de la fantaisie. Les chaises se détachent des portes et se montent comme des meubles minimalistes. Les jeux de lumières viennent parfaire l’impression que le merveilleux peut être convoqué à tout instant.
Même le père qui, tout au long de l’histoire, n’a pas cru un seul instant à ce que racontait sa fille, se laisse finalement convaincre par la vision de cette gouvernante à la fois stricte et fantaisiste, pour qui il suffit de voir les choses sous un angle différent. La preuve par le théâtre que tout est question de perception et que l’imagination cohabite sans heurt avec la réalité, et rend la vie plus douce pour les petits et pour les plus grands.