Le chant du cygne
D’Anton Tchekhov / mise en scène Robert Bouvier / Théâtre du Passage / du 2 au 6 novembre / Critiques par Alice Moraz et Jonathan Hofer.
Coup de projecteur à l’intérieur du théâtre
4 novembre 2016
Par Alice Moraz
La Cie du Passage adapte Le chant du cygne, fantaisie courte d’Anton Tchekhov portant sur le théâtre. Le spectacle insère dans l’œuvre originale des scènes qui révèlent les secrets et coutumes des comédiens, ces artistes à la folie douce.
Noir dans la salle. Un projecteur s’allume, s’éteint, puis un deuxième et un troisième… dévoilant sur la scène un carré de tissu blanc suspendu par un câble, des fleurs sur une table, un costume de commedia dell’arte et des serpentins au sol. Au début du spectacle, le comédien Vassili Vassiliévitch Svetlovidov se réveille dans sa loge après une représentation couronnée de succès et entre sur le plateau avec une lanterne. C’est la nuit, le théâtre est vide. Apparaît bientôt Nikitouchka, un jeune souffleur qui n’a nulle part où dormir et a fait du lieu son chez-lui. Ensemble, ils vont évoquer le passé glorieux du vieux comédien qui semble parfois se perdre dans ses souvenirs et rembobiner la pellicule pour rejouer une scène.
Grâce aux divers médias du théâtre, mis à l’honneur dans la mise en scène de Robert Bouvier, l’espace scénique semble lui aussi se prêter au jeu des multiples atmosphères qui se dégagent du spectacle. Les bruitages, les enregistrements ainsi que les différentes lampes et projecteurs qui illuminent ou assombrissent le plateau renforcent l’impression de multiplicité des tonalités. Les jeux de lumières, tour à tour commandés par les acteurs, semblent chorégraphiés, rendant à merveille tant l’ambiance intimiste dans laquelle peut être baignée la scène durant une représentation, que le froid qui règne dans un théâtre déserté de ses comédiens et de son public.
On ressent peu à peu quelques longueurs dues aux digressions de la mise en scène. Le spectacle se déroule néanmoins sans accrocs et permet aux spectateurs de plonger par intermittence dans les souvenirs du vieux comédien. L’écran blanc sert de toile aux souvenirs des deux personnages. Ils y sont projetés comme s’ils sortaient de leur tête. Leur texte aussi y est finalement affiché ; les souffleurs ne sont plus, remplacés par des moyens modernisés. Durant toute la représentation on assiste simultanément à la pièce de Tchekhov et à une exploitation explicite de sa dimension métathéâtrale. L’œuvre écrite et le travail de répétition et de mise en scène se confondent en direct : didascalies, recherche de personnages, création d’un espace sonore, indications scénographiques. Tous ces éléments s’intègrent avec fluidité dans le texte original. Dès lors, on ne sait plus très bien si les acteurs, Roger Jendly et Adrien Gygax, jouent un personnage (le leur, celui de la pièce que l’on est en train de voir se dérouler sous nos yeux ou celui d’une autre œuvre dont ils rejouent un extrait) ou non. C’est là toute la magie du spectacle : un joyeux mélange fait de chansons, d’extraits de pièces de théâtre, de souvenirs et d’impromptus retours à la réalité.
Lumière sur la salle. Fin ! Deux générations de comédiens dotés d’un jeu extrêmement polyvalent et convaincant réussissent à donner à la pièce Le chant du cygne une légèreté à laquelle son titre ne préparait pas.
4 novembre 2016
Par Alice Moraz
Du début à la fin
4 novembre 2016
Par Jonathan Hofer
La création de Robert Bouvier et de la Compagnie du Passage est une tempête. Un fracas entre ténèbres et lumière, le choc de la jeunesse et de la vieillesse, du silence et du vacarme.
Le Chant du cygne de Tchekhov ne comprend que deux personnages : le vieux comédien Vassili Vassiliévitch Svetlovidov et le souffleur Nikita Ivanytch. Quand le comédien se réveille, pas tout à fait sobre, enfermé dans le théâtre, il se lance dans une réflexion sur son métier, sur son amour, sur le public, sur le texte. Tandis que le personnage de Svetlovidov s’éveille face à l’angoisse du vent qui s’infiltre dans le théâtre plongé dans l’obscurité, le spectateur lui aussi s’éveille progressivement devant la tempête qui se prépare sur le plateau.
La réussite du spectacle tient au mélange des extrêmes. La lumière s’emploie subtilement – tantôt forte, tantôt douce ; tantôt ciblée, tantôt diffuse – à guider le spectateur vers des points de vue différents. De même, entre présence et absence, la musique et la scénographie comblent tour à tour un vide ou le laissent parler. On se retrouve tout à coup hors de la pièce initiale, dans un dialogue entre les comédiens Roger Jendly et Adrien Gygax sur le plateau. Les deux niveaux de fictions permutent constamment : entre Tchekhov et les acteurs, le spectateur voyage dans la vie du comédien – propre ou inventée.
Les acteurs livrent une performance impressionnante de justesse. Ils rendent un hommage bouleversant de sincérité au monde de la scène. La collaboration d’Adrien Gygax et de Roger Jendly donne à voir les difficultés d’un jeune acteur à faire naître son personnage et le texte à la scène. Des anecdotes aussi comiques que légères font sourire aussi bien les plus aguerris que les plus novices en matière de théâtre. Si le chant du cygne marque habituellement la fin, il marque ici le début : la transmission d’une carrière prodigieuse vers la jeune génération. Découvrez ou redécouvrez ce spectacle, laissez-vous transporter par cette création où tout le monde fera – selon la formule très chère à Roger Jendly – du théâtre comme un enfant qui s’amuse.
4 novembre 2016
Par Jonathan Hofer