Histoire d’un merle blanc
D’Alfred de Musset / mise en scène d’Anne Bourgeois / Théâtre Equilibre Nuithonie, Fribourg / du 16 au 19 novembre 2016 / Critiques par Céline Conus et Alicia Cuche.
Un spectacle de haut vol
18 novembre 2016
Par Céline Conus
Avez-vous déjà vu un merle blanc ? Qu’est-ce que ce drôle d’oiseau peut bien nous apprendre sur nous, notre rapport aux autres, ou plus radicalement sur la finalité de nos vies, nos destinées ? Pour le savoir, courez vous trouver une place dans la volière et laissez-vous conter L’Histoire d’un Merle blanc …
Vous souvenez-vous quand, enfants, on vous racontait des histoires en imitant les voix ? Moi, je m’en souviens. Je me souviens du travail de mon imagination, véritable petite fabrique d’images dont je sentais physiquement le travail frénétique. Elle tournait à plein régime pour visualiser le visage de tel ou tel personnage, sa démarche, son physique, le paysage . C’est ce que l’on ressent en entendant Stéphanie Tesson raconter sur la scène la nouvelle d’Alfred de Musset. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas là d’un spectacle pour enfants uniquement, même si ces derniers se régaleront à coup sûr. En effet, il est de ces textes qu’on relit différemment aux différents âges de la vie, comme Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Histoire d’un Merle Blanc fait partie de ceux-là.
Dans cette nouvelle, Alfred de Musset, on le sait, raconte la quête identitaire d’un merle qui eut le malheur de pas naître comme les autres. Il est différent. Il en souffre d’abord, se frotte au monde qui l’entoure, cherchant à s’identifier, cherchant la ressemblance plutôt que la différence. Il cherche aussi l’âme soeur. Il se perd dans des émois passionnés et essuie quelques chagrins d’amour. Puis il comprend qu’être différent, c’est être unique et qu’il y a somme toute quelque chose à faire de tout cela. Comment, en tant que spectateur, ne pas se sentir concerné et touché ? C’est une promesse : vous sourirez beaucoup, vous penserez beaucoup aussi durant ce spectacle. Quel que soit notre âge, ne nous sommes-nous pas tous, un jour, sentis des merles blancs ?
La mise en scène est ici une véritable mise en plumes et l’émergence de tout ce monde repose sur les épaules d’une actrice formidable dont il faut ici saluer l’extraordinaire performance, car c’en est une. Seule en scène, Stéphanie Tesson assume et anime avec virtuosité le bestiaire haut en couleurs imaginé par Musset. Habillée de blanc, quelques plumes entourant son cou, ses poignets et ses chevilles, elle se présente à nous. Il est clair que nous tenons là le Merle blanc. C’est vrai et ce n’est pas tout à fait vrai, car tout au long de la soirée, elle saura faire apparaître devant nous tous les oiseaux, avec leurs personnalités et leur tics, leur dégaine, leur caractère, leur accent, tout. Performance vocale pour commencer, numéro d’imitatrice même, lorsque la comédienne prête sa voix aux différents personnages ou encore lorsqu’elle se met à chanter comme ce pauvre merle blanc qui, en plus d’être d’une couleur douteuse, ne possède pas les dons de vocalistes de tout merle qui se respecte, Performance physique, aussi : elle vole et virevolte d’un coin à l’autre de la scène, se perchant parfois sur un haut tabouret de bois, unique élément de décor d’une scène qui n’a pas besoin de beaucoup plus que ça. Quelques jeux de lumière aident à se représenter l’atmosphère dans laquelle baigne tel ou tel moment du récit ou encore éclairent le visage de l’actrice pour en accentuer l’extraordinaire plasticité. Votre imagination, délicieusement stimulée, sera mise à contribution.. Libérez-là, confiez-là pour une petite heure à cette fabuleuse comédienne qui saura vous emmenez loin et haut.
Pour couronner le tout, la très belle langue du texte, délivrée par une diction impeccable, exercice auquel la comédienne prend manifestement du plaisir, fait aussi beaucoup de bien à nos oreilles, à une époque, la nôtre, où la langue subit des changements drastiques qui appauvrissent son vocabulaire. Ici, la langue est le lieu de toutes les richesses. Bien sûr, on aurait pu imaginer une version adaptée du texte, modernisée, rendue prosaïquement actuelle, mais cela aurait certainement enlevé à ce spectacle toute son élégance et sa poésie. Et cela aurait été bien dommage, car nous avons tant besoin de poésie.
18 novembre 2016
Par Céline Conus
Connais-toi toi-même
18 novembre 2016
Par Alicia Cuche
Avec Histoire d’un merle blanc, une adaptation scénique de la nouvelle d’Alfred de Musset, Anne Bourgeois et Stéphanie Tesson nous amènent à reconsidérer nos propres déceptions dans notre quête identitaire. Car qui ne s’est jamais senti « merle blanc » dans un monde de merles noirs ?
Une silhouette vêtue tout de blanc, à l’air dépité, tourne, tourne, tourne en un grand cercle, à petits pas pressés. Des plumes, blanches, s’égarent sur le sol noir de la Petite Salle de Nuithonie. Elles parsèment peu à peu l’histoire malheureuse et tourmentée qui nous est contée là. Contée, oui, car de même qu’Alfred de Musset tira le théâtre au salon, rédigeant des pièces à lire et non à jouer, de même le spectacle de la metteuse en scène Anne Bourgeois adapte la nouvelle Histoire d’un merle blanc pour la scène. La transition du conte vers la pièce de théâtre est réussie. Stéphanie Tesson, à la fois actrice et conteuse, endosse l’histoire avec tous les rôles qui la composent. Grâce à son jeu et à sa plasticité étonnante, nous voyons apparaître le merlichon malheureux, les grives grivoises, le cacatoès imbu de sa gloire, le pigeon hautain, la pie jacasseuse. Tout un monde se réunit dans la seule personne de Stéphanie Tesson.
Le parti pris scénique d’Anne Bourgeois est de se contenter du minimum : une actrice, un habit, un tabouret et c’est tout. L’actrice interprète tous les rôles, le tabouret sert à la fois de branche, de gouttière, de perchoir ou de volant de voiture. Seule la lumière se démultiplie en plusieurs éclairages. Tantôt violente, tantôt spot, tantôt mystérieuse et parfois un patchwork d’ombres pour figurer une forêt, la lumière habille l’histoire, lui donne le ton, voire le lieu. Grâce au dépouillement extrême de la scène, l’histoire peut prendre toute la place.
Devant la multiplicité des personnages, on se remémore les comédies de caractères de Molière : toute la société de Musset s’expose aux rires et à la compassion des spectateurs. Particulièrement l’épouse inespérée de notre Merle Blanc, une merlette anglaise, une femme de lettres, qui se révèle moins exceptionnelle qu’attendue. George Sand en prend pour son grade.
Loin d’en être à son coup d’essai (elle travaille en tant que metteuse en scène depuis 1989), Anne Bourgeois nous livre avec Histoire d’un merle blanc une belle histoire et une réflexion sur nos propres déceptions dans la longue aventure qu’est le « connais-toi toi-même » de Socrate, si justement évoqué par Musset.
Histoire d’un merle blanc est à voir du 16 au 19 novembre 2016 au théâtre Nuithonie à Villars-sur-Glâne. Un bord de scène est organisé à l’issu de la représentation du vendredi soir.
18 novembre 2016
Par Alicia Cuche