Par Valmir Rexhepi
Stück Plastik / de Marius von Mayenburg / mise en scène de Gianni Schneider / Théâtre de la Grange de Dorigny / du 17 au 26 novembre 2016 / Plus d‘infos
Dans un salon tout à fait bourgeois, des personnages plus ou moins distingués cherchent dans l’autre le maître ou l’esclave. Ici, la famille devient le microcosme de l’exploitation ; le foyer, le lieu des luttes.
Une cuisine et un salon, épurés. En fond de scène, une cloison qui va servir de support de projection. Ils sont cinq personnages à évoluer dans cet espace dont l’atmosphère progressivement lourde s’étend jusqu’au dernier rang du gradin : il fait plus ou moins gris, comme sous un nuage de pluie qui par moment laisse passer des rayons délavés. Parfois ils parlent entre eux, d’autres fois ils oublient ceux qui avec eux sont dans le salon et s’adressent à nous, comme pour endosser une fonction narrative. C’est peut-être l’histoire d’une famille bourgeoise qui vient d’engager une nouvelle femme de ménage, Jessica, ou alors l’histoire de Jessica qui arrive dans une famille bourgeoise pour y travailler comme femme de ménage. On hésite d’abord, tant le topos de l’intrusion dans la cellule familiale autorise d’entrées. Il y a aussi un artiste. Et un enfant.
La femme de ménage, employée et confidente ; la femme, Ulrike, insatisfaite de son mari, Michaël, que par ailleurs elle délaisse au profit d’un artiste à satisfaire ; ce dernier, Haulupa, sacrifiant à son art au détriment d’autrui ; puis l’enfant, Vincent, douze ans, tour à tour lubrique et étrange ; à la fin, le voilà déguisé en femme…
Les destins personnels cèdent le pas, par la multiplicité des relations et des perspectives de lecture que semblent offrir chacun des personnages, à un destin collectif. On oublie vite le sempiternel mari à la virilité brimée, tout comme la femme agaçante en pleine ménopause. Les clichés s’estompent. Peu à peu, ce ne semble plus être l’histoire de l’un ou l’autre, mais une sorte d’histoire sociale de l’exploitation. Comme une espèce de pyramide des ordres de l’Ancien Régime. L’exploitation de l’autre se révèle notamment, comme pour souligner le trait, dans l’exploitation du langage et de l’espace : l’artiste-roi se permet tous les mots, tous les registres, sans scrupule, quitte à blesser ; tout comme il se permet tous les espaces et en assigne aux autres, sans réserve. Le couple prétend dominer et le langage et l’espace, mais toujours par des détours et des circonvolutions finit péniblement par dire les choses. Jessica, tout en bas, nettoie – elle est payée pour ça – quelques « ok » ou « d’accord » tissant le peu de ses paroles.
Le voilà, lui qui prétend faire de l’art. Une idée lui passe par la tête : elle doit être dite puis faite. Ce sera une performance, vider le frigidaire jusqu’au dernier article, lancer le tout à travers la cuisine. Ulrike – blonde platine perchée sur talons – doit filmer. Michaël, poliment fâché, doit se taire. Jessica, à genoux, en silence, ramasse ce qui jonche maintenant le sol noir. Les relations humaines sont-elles tout le temps hiérarchisées ainsi ? Tout semble venir d’en haut. Pourtant, Jessica aura le dernier mot.