Par Alice Moraz
Le Chant du cygne / d’Anton Tchekhov / mise en scène Robert Bouvier / Théâtre du Passage / du 2 au 6 novembre / Plus d’infos
La Cie du Passage adapte Le chant du cygne, fantaisie courte d’Anton Tchekhov portant sur le théâtre. Le spectacle insère dans l’œuvre originale des scènes qui révèlent les secrets et coutumes des comédiens, ces artistes à la folie douce.
Noir dans la salle. Un projecteur s’allume, s’éteint, puis un deuxième et un troisième… dévoilant sur la scène un carré de tissu blanc suspendu par un câble, des fleurs sur une table, un costume de commedia dell’arte et des serpentins au sol. Au début du spectacle, le comédien Vassili Vassiliévitch Svetlovidov se réveille dans sa loge après une représentation couronnée de succès et entre sur le plateau avec une lanterne. C’est la nuit, le théâtre est vide. Apparaît bientôt Nikitouchka, un jeune souffleur qui n’a nulle part où dormir et a fait du lieu son chez-lui. Ensemble, ils vont évoquer le passé glorieux du vieux comédien qui semble parfois se perdre dans ses souvenirs et rembobiner la pellicule pour rejouer une scène.
Grâce aux divers médias du théâtre, mis à l’honneur dans la mise en scène de Robert Bouvier, l’espace scénique semble lui aussi se prêter au jeu des multiples atmosphères qui se dégagent du spectacle. Les bruitages, les enregistrements ainsi que les différentes lampes et projecteurs qui illuminent ou assombrissent le plateau renforcent l’impression de multiplicité des tonalités. Les jeux de lumières, tour à tour commandés par les acteurs, semblent chorégraphiés, rendant à merveille tant l’ambiance intimiste dans laquelle peut être baignée la scène durant une représentation, que le froid qui règne dans un théâtre déserté de ses comédiens et de son public.
On ressent peu à peu quelques longueurs dues aux digressions de la mise en scène. Le spectacle se déroule néanmoins sans accrocs et permet aux spectateurs de plonger par intermittence dans les souvenirs du vieux comédien. L’écran blanc sert de toile aux souvenirs des deux personnages. Ils y sont projetés comme s’ils sortaient de leur tête. Leur texte aussi y est finalement affiché ; les souffleurs ne sont plus, remplacés par des moyens modernisés. Durant toute la représentation on assiste simultanément à la pièce de Tchekhov et à une exploitation explicite de sa dimension métathéâtrale. L’œuvre écrite et le travail de répétition et de mise en scène se confondent en direct : didascalies, recherche de personnages, création d’un espace sonore, indications scénographiques. Tous ces éléments s’intègrent avec fluidité dans le texte original. Dès lors, on ne sait plus très bien si les acteurs, Roger Jendly et Adrien Gygax, jouent un personnage (le leur, celui de la pièce que l’on est en train de voir se dérouler sous nos yeux ou celui d’une autre œuvre dont ils rejouent un extrait) ou non. C’est là toute la magie du spectacle : un joyeux mélange fait de chansons, d’extraits de pièces de théâtre, de souvenirs et d’impromptus retours à la réalité.
Lumière sur la salle. Fin ! Deux générations de comédiens dotés d’un jeu extrêmement polyvalent et convaincant réussissent à donner à la pièce Le chant du cygne une légèreté à laquelle son titre ne préparait pas.