Adishatz (Adieu)
Conception et interprétation de Jonathan Capdevielle / Théâtre les Halles à Sierre / du 17 au 18 novembre 2016 / Critiques par Basile Seppey et Joanne Vaudroz.
Un autoportrait
18 novembre 2016
Par Basile Seppey
Adishatz (Adieu) est un autoportrait chanté à la fois exigeant et libéré, une mise à nu hardie qui requiert un réel engagement de la part du public : une fois la glace brisée, au confluent de nos mémoires musicales, se raconte une histoire, toute simple, toute vraie.
Ce jeudi soir-là, au Théâtre les Halles à Sierre, nous, public, étions pas mal dissipés. Les gens riaient, discutaient, maugréaient. Certains allèrent jusqu’à siffler lorsque le metteur en scène et comédien Jonathan Capdevielle, incarnant Madonna, dansa au rythme d’une chanson culte. Ces réactions appellent déjà quelques questions : pourquoi allons-nous au théâtre ? Qu’est-ce que le théâtre contemporain en termes de réception, d’attente ? Qu’espérons-nous de ce genre d’événements ?
Adishatz/Adieu est présenté comme un autoportrait pensé en chansons, celui du comédien, un jeune homosexuel venant d’une petite commune du Sud-Ouest de la France. C’est un peu comme si l’on vous présentait quelqu’un au moyen d’une playlist de son cru. Cependant, comme tout portrait, il provoque une confrontation, une rencontre entre son sujet et son spectateur. Peut-être faut-il accepter que cette rencontre puisse ne pas accoucher toujours d’une relation de connivence, qu’elle ne tisse aucune complicité. Dans le cadre d’un autoportrait au théâtre, on pourrait parler de double confrontation, car nous abordons la même personne sur deux plans différents : celui du fond et de la forme, de la fable et de la performance. Ainsi même si tout au long du spectacle, le comédien, parfois dos au public, tapis dans l’obscurité ou en pleine lumière s’ingénie à emprunter les paroles et la voix des autres, ce n’est toujours que lui, que par lui que l’on voit.
Il faut dire que le début la pièce est radical, presque provocateur : Jonathan Capdevielle se présente seul sur scène, armé d’un micro, revêtant l’éternel costume trois-pièces de l’adolescent moyen –basket, jeans et sweat-shirt – afin d’entonner, sans aucun préambule, avec une voix haut perchée et un flegme travaillé, une série d’extraits de chansons, dont on devine qu’elles ont jalonné sa jeunesse. Le ton est donné : certains, déjà, sans chercher à comprendre, partiront frustrés, sans se douter qu’une histoire allait être racontée.
Après cet échantillon musical, cette succession de bribes emblématiques, oscillant entre des « tubes » commerciaux et des couplets gaulois plus traditionnel, le comédien quitte la lumière crue dans laquelle il baignait, pour gagner une petite table de maquillage au fond de la scène. Tout en se travestissant, en revêtant son costume de chanteuse pop, Jonathan Capdevielle va continuer à se livrer à travers une suite d’instantanés d’une autre nature. Faisant preuve d’une maîtrise technique remarquable, assumant plusieurs voix, le comédien va jouer quelques saynètes, quelques anecdotes personnelles telles qu’un dialogue téléphonique avec son père ou la visite d’un proche à l’hôpital. Tout en se maquillant, en se préparant dans une semi pénombre, par sa seule voix, l’acteur parvient à construire tout son monde, à rendre compte avec une justesse touchante de la complexité des rapports humains. Lors de la partie suivante, hybride, le chant et la danse, vecteurs de fantasmes, font alterner des épisodes polyphoniques mettant en scène une fin de soirée ridicule dans une boîte de Tarbes.
Pour terminer cet autoportrait, il fallait trouver un pendant à la sècheresse, à la dureté de son début, il fallait terminer de réconcilier le public et l’acteur, l’homme et son milieu, le réinsérer dans son histoire. C’est ce qu’ont permis les cinq hommes qui ont rejoint Jonathan Capdevielle pour entonner un chant traditionnel final et fédérateur. Ils ont su, par leur bonhomie, ramener un peu de douceur et nous rapprocher du personnage qui, jusque là, avait affronté nu le public.
Adieu, ou Adishatz en occitan, est une pièce qui raconte la vie d’un jeune homme, avec tout ce qu’elle peut receler de complexe, d’inattendu, d’inclassifiable. C’est un autoportrait dont les traits nous sont communs, un autoportrait qui oscille entre anonymat et intimité : les chansons reprises fonctionnent comme un contrepoint aux dialogues, intimes conversations si justement rendues qu’elles en deviennent universelles. Adishatz est une sorte d’éponge qui, lorsqu’on est disposé à la presser, délivre un flot coloré où le rêve et le jeu brouillent la réalité, où le grotesque mâtine le tragique.
18 novembre 2016
Par Basile Seppey
If I run away?
18 novembre 2016
Par Joanne Vaudroz
Lentement, d’un pas nonchalant, la mine renfrognée, les traits du visage crispés comme s’il portait le poids du monde sur ses épaules, l’artiste entre en scène et sort un micro de sa poche. Il se met à chanter. « Life is a mystery ; Everyone must stand alone ; I hear you call my name ; And it feels like home ; When you call my name it’s like a little prayer… » Cet air de Madonna (Like a Prayer, 1989) n’est que l’un des nombreux titres de son répertoire. Jonathan Capdevielle se met à nu dans Adishatz (Adieu). Il nous entraîne dans son monde, celui de l’imitation des figures qui ont marqué son adolescence.
Aucun instrument n’accompagne Jonathan, seule sa personne physique et son a capella ambiancent la scène. Le regard méfiant, il semble chercher au fond de son esprit les paroles de ces tubes qu’il aimait imiter dans son adolescence. Dès les premiers airs qu’il chantonne, nous sommes entraînés dans sa sphère intime portée par une voix si claire, si mélodieuse, qui se fait entendre sur quelques refrains de la « reine de la pop », des tubes de Lady Gaga ou encore Daft Punk. Mais voilà que de temps à autre, certaines paroles obscènes s’insèrent dans les interstices de Like a Virgin, La isla Bonita ou encore Hung up. Le timbre de voix change, l’accent sud-ouest français ressort et les hits américains disparaissent, laissant place à une historiette de petit garçon abusé par son père … Quel sens donner à cette perturbation?
La mélodie s’arrête. Changement de décor. L’homme se tourne et s’installe face au miroir de sa commode. C’est alors qu’une conversation téléphonique entre un père et son fils se détache du silence. Le dialogue est plutôt banal entre eux mais la justesse d’une voix âpre à l’accent braillard du père semble peser sur une figure fragile, une voix douce mais timide qui n’est autre que « Jojo ». Le spectateur peut être surpris de percevoir une autre facette de Jonathan. Une facette qui, dans cet intermède, paraît gêner le comédien comme s’il nous confessait une partie de son histoire, de sa vie réelle.
L’homme se lève et se retourne. Il est devenu elle, perchée sur des stilettos dorés. Les traits de son visage ne sont plus tendus, le mal-être du début semble s’être évaporé. La musique recommence mais cette fois le personnage se trouve dans une boîte de nuit. Il s’enivre de chorégraphies et reproduit de nombreux dialogues entre lui et ses amies ainsi que des scènes typiques de la vie nocturne, comme les bagarres à la sortie du club, ou cette fille qui pleure car « son mec est toujours trop bourré ». « Jojo » crée à lui seul une folle ambiance et nous déplorons l’arrivée si rapide de la fin du spectacle.
Si ce soir nous avons dansé, ri et sommes restés parfois étonnés, nous avons surtout ressenti l’énergie déployée par l’acteur qui nous a donné les clefs de lecture de son parcours professionnel. Ce spectacle peint en profondeur l’autoportrait de l’artiste, de sa terre natale (Tarbes) à son activité prolifique au sein des festivals dramaturgiques européens. Songé et travaillé depuis 2007, créé en 2009, Adishatz (Adieu) présente un chanteur, un acteur, un ventriloque, un homme, enfin une femme ou peut-être les deux à la fois. Il nous a surtout emmenés vers un univers personnel composé autour du lyrisme musical, de la construction d’une identité, celle de Jonathan Capdevielle.
18 novembre 2016
Par Joanne Vaudroz