1985…2045

1985…2045

De Katy Hernan et Barbara Schlitter / par la Compagnie Kajibi Express / du 2 au 20 novembre 2016 / au Petit Théâtre / Critiques par Jérémy Berthoud et Kendra Simons.


Un vent de changement

4 novembre 2016

© Philippe Pache

Entre 1985 et aujourd’hui, entre l’enfance des parents et celle de leurs enfants, il y a quand même un monde. Et que dire des 30 ans à venir ? En 2045, vivrons-nous sur Mars avec les ours polaires ? Le temps passe vite au Petit Théâtre.

Nous sommes en 1985. Pour les 10 ans de Katy, la fillette a organisé une boum et ses parents lui ont offert un walkman. Soudain, une citation de Retour vers le futur se fait entendre et Katy a aujourd’hui 40 ans. Il faut dire que les voyages dans le temps sont rapides sur scène… En une seule minute chrono, grâce à trois comédiens très motivés et très drôles et à un ingénieux décor modulable en plaques de mousse, le salon des années 80 devient un espace désordonné tout à fait contemporain. Encore quelques instants et une véritable banquise des années 45 (2045, entendons-nous) se retrouve sur le plateau, agrémentée de deux ours polaires. Les transitions, multiples, sont toujours gérées avec brio, que ce soit en chorégraphies frétillantes ou en courses contre la montre… La maîtrise du temps et de l’espace est totale.

Non contents de nous faire voyager, les comédiens de ce spectacle mettent notre cervelle à l’épreuve en proposant régulièrement de petites discussions destinées aux enfants, public principal du spectacle. Ils nous parlent du temps qui passe de gauche à droite ou de droite à gauche selon le sens de la lecture, ils cassent les fameux préjugés sur les « vieux » du siècle passé, ils abordent les bienfaits de la technologie… sans jamais tomber dans les extrêmes. Chaque époque a ses avantages et ses inconvénients, nous disent-ils. Et les enfants dans la salle n’hésitent pas à intervenir, donnant çà et là leurs idées sur les questions abordées. Loin de les ignorer, les comédiens interagissent avec eux brièvement avant de reprendre le fil de leur histoire. Après tout, ils ont conçu leur spectacle à partir de témoignages de différents enfants, enregistrés et diffusés pendant la représentation, alors pourquoi ne pas utiliser ceux qui leur tombent entre les mains le jour-même ?

Les plus âgés ne sont pas en reste : les comédiens ont inséré pour eux différentes références musicales des années 80. Ils ont aussi posé avec légèreté, presque subrepticement, une ou deux évocations de la mort et de l’abandon destinées à toucher chaque être de la salle.

Plutôt que de mettre en avant le clivage traditionnel entre enfants et adultes, le spectacle les rassemble au moyen d’un parallèle à la fois fin et désarmant : « les adultes ont peur du futur comme les enfants ont peur de l’obscurité. Tous ont peur de l’inconnu ». C’est sur cet inconnu appelé à être construit par les idées folles des enfants (aidés de leurs parents) que s’éteignent les lumières.

4 novembre 2016


Expérimenter le temps qui passe…

4 novembre 2016

© Philippe Pache

Combinant dialogue avec le public et expérimentation scénique, Katy, Barbara et Valerio font réfléchir les enfants et leurs parents à tout ce qui peut changer en trente ans. Entre 1985 et 2045, on se trouve pris dans une machine à jouer avec le temps, à travers une mise en scène qui fait rire tout le public.

À la sortie, on se surprend à observer les gens dans la rue. Cette dame-là, elle était jeune en quelle année ? Et ce petit garçon, il ressemblera à quoi dans quarante ans ? C’est l’effet post–1985… 2045. Katy Hernan et Barbara Schittler nous poussent à reconstruire – ou à s’imaginer – le décor des trois époques proposées : 1985, quand les parents de la salle étaient des enfants ; 2016 ; et 2045, quand les enfants de  la salle seront parents à leur tour.

Les metteurs en scène ont mené une véritable recherche documentaire, en récoltant des impressions d’enfants pendant plusieurs mois, lors d’ateliers au Théâtre Am Stram Gram : « 1985, pour moi, c’est l’époque où il y avait des calèches, des 2CV décapotables et des hommes en chapeau melon » (interview d’Aurélien, 11 ans). On retrouve ces propos d’enfants dans le spectacle, que leurs paroles soient remaniées dans la bouche des acteurs ou rediffusées directement. Pour impliquer les spectateurs, les acteurs n’hésitent pas à s’adresser directement au public. Comme ils le précisent eux-mêmes, c’est un « laboratoire d’expérimentation » où chacun peut participer, qu’il s’agit ici de créer. Et on peut dire que cela fonctionne ! En tout cas du côté des enfants dans le public, qui n’hésitent pas à interagir avec les comédiens.

On sent qu’on est là, quel que soit notre âge, à réfléchir ensemble. Et le temps qui passe, on peut le sentir ? demande Valerio. C’est le pari que veut remporter ce projet. Avec les différents objets de 1985, cassettes, vieux téléphones, machine à écrire, walkman, on ressent le temps qui a passé. Et devant la peur du futur qui envahit par instant tout l’espace scénique, sous la forme d’un vieillard masqué, d’ours polaires à la dérive ou encore de l’obscurité la plus totale, on réfléchit peut-être un peu à son propre futur, ou à celui de l’humanité.

Parce que la compagnie KAJIBI EXPRESS n’en reste pas au dialogue avec le public. Après des moments de questionnements, elle « expérimente » le temps scéniquement, avec par exemple la reconstitution d’une scène des années huitante, quand Katy était ado et avait la tignasse des stars de l’époque.

Ce défi lancé au temps est aussi un défi lancé à l’espace, que la mise en scène relève brillamment : aucune partie du décor n’est laissée pour compte. Les blocs de sagex sont d’abord une construction abstraite, puis des meubles en 1985 et enfin des morceaux d’iceberg flottants sur la grande surface bleue de la plateforme. Ces expérimentations spatio-temporelles sont soutenues par des bandes sonores, entre musiques hallucinatoires qui évoquent le futur et melting-pot de chansons et de bribes d’informations tirées d’enregistrements radiophoniques passés.

4 novembre 2016


Voir la page du spectacle