Par Valmir Rexhepi
Les petites filles aux allumettes / textes et mises en scène de Antoine Jaccoud, Joël Maillard et Philippe Vuilleumier / Par la Compagnie Léon / Théâtre 2.21 / du 12 au 15 octobre 2016 / Plus d’infos
Le conte danois La petite fille aux allumettes paru au milieu du XIXe siècle est repris par la Compagnie Léon pour une triple réécriture scénique. Ne pas jouer le texte, mais ce qu’il y a autour, dans le hors-champ des mots, de la narration.
Une machine à écrire s’allume, à doux coups de doigts qui sur une page déposent des mots. La lumière, faible, chaude, semble sortir d’eux ; un homme, vieux, écrit et se parle, ou parle à son socratique démon, on entre doucement dans la pièce. Puis l’homme part. L’espace qu’il quitte, sans transition, devient l’espace de la fiction qu’il écrivait, ou peut-être est-ce toujours le même espace, je ne sais pas. Alors une femme, vieille, une grand-mère, la grand-mère du conte s’avance jusqu’à la machine à écrire, et, pour parler, écrit.
C’est la crise : elle ne veut pas être ce que l’auteur lui ordonne. La petite fille aux allumettes ne veut plus être la petite fille aux allumettes : petit à petit l’espace de la fiction devient le lieu d’un militantisme parfois gauche, du moins trop insistant. À peine essayé-je de saisir, de me fabriquer du sens, que… noir. C’est un second tableau qui se construit, une espèce d’espace post-mortem où trois corps fixes comme des cariatides nous médusent durant une éternité ; où résonnent des voix qui disent sans cesse les toujours de l’au-delà. Les grésillements du magnétophone, les martèlements arythmiques d’un piano synthétiseur, ou encore la fadeur de la lumière contribue à donner de l’au-delà une appréhension délibérément et violement lourde et pénible. Et puis ça s’éteint. Je cherche à faire le lien avec le premier tableau, peut-être une sorte d’ode en creux, un chant dissonant à la vie, un « vivez maintenant ; après c’est l’ennui ». Un mouvement qui rejoindrait les tonalités engagées de la première scène, ou peut-être… Mais quelque chose se trame à nouveau sur scène : encore un tableau ?
L’idée est originale : laisser aux personnages la possibilité de ne plus dire ce que le prompteur du récit leur ordonne, investir des lieux que le récit appelle mais ne montre pas, actualiser un passage du conte dans la pitié cynique et idiote d’un couple âgé. La plongée dans le hors-champ séduit d’abord, égare ensuite. En trois tableaux réalisés par trois metteurs en scène différents, la pièce joue avec le conte, ou contre lui. Dans les deux cas, on peine à cerner une cohérence, à s’accrocher à une histoire : le format adopté, conjugué aux discours militants, ontologiques, cyniques nous maintient dans l’inconfort de la perplexité. On ne sait pas vraiment où ça veut aller. Nulle part ? On ne sait pas non plus. Tout comme on ne saisit parfois pas qui est qui : il y a quatre comédiens, il y a quatre personnages ou alors douze ? Le but était-il de nous maintenir dans le flottement ? Peut-être, mais le doute l’emporte. Le sentiment persiste que la pièce veut dire, faire réfléchir ; probablement trop. Il semble y avoir trop de petites filles pour trop peu d’allumettes : des lumières s’allument partout mais on y voit à peine.