Par Laura Weber
Le Dieu du carnage / de Yasmina Reza / mise en scène de Georges Guerreio / par Baraka et Helvetic Shakespeare Company / du 22 au 29 octobre 2016 / au Théâtre de la Grange de Dorigny / Plus d’infos
Que laisse présager ce titre évoquant un mystérieux démiurge instigateur de la loi du plus fort ? Les règles du vivre ensemble permettent-elles, malgré cette sourde présence, de maintenir des relations paisibles et raisonnées entre tout un chacun ? L’avènement de la bienséance sociale n’est peut-être pas parvenu à contrer les desseins de cette puissante divinité. Le Dieu du carnage n’a peut-être jamais été aussi acharné que dans le salon du couple Houllié.
Et pourtant, il s’agissait simplement d’une invitation cordiale de Michel et Véronique Houllié. Les parents souhaitaient discuter avec le couple Reille de la conduite violente du petit Ferdinand Reille à l’égard de son camarade Bruno Houllié, défiguré à coups de bâton. Entre adultes, le litige devait pouvoir être examiné calmement grâce à une discussion pondérée autour de la table basse du salon et permettre ainsi de trouver une issue acceptable pour les deux partis.
De manière frontale et sans détour, le texte de Yasmina Reza désintègre toutes les conventions hypocrites en dressant un portrait cynique des rapports humains. L’effritement de ce vernis social se manifeste visuellement par la pulvérisation progressive du salon. Commençant de façon très statique et présentant les personnages symétriquement déployés autour d’une table blanc laqué, la représentation dévoile le désordre interne qui régit le quatuor par la gradation du chaos qui s’instaure sur scène. Les personnages se voient ainsi dépouillés au fur et à mesure de leur enveloppe faussement courtoise, haussent le ton, hurlent parfois et finissent par s’attaquer aux décors. Au terme de la pièce, le vrai visage du Dieu du carnage apparaît : violent, sournois et absurde. Le constat cinglant de Yasmina Reza est sans appel : tout rapport humain est dysfonctionnant. Que ce soit entre mère et fils, entre homme et femme, en Europe comme en Afrique, cette perfide divinité anéantit tout espoir de relation pacifiée. Il aura fallu une invitation dans le salon des Houllié pour que la vérité éclate au grand jour.
Constat franchement déprimant, mais Le Dieu du carnage prend cependant toute sa saveur grâce au registre comique allègrement utilisé. Les répliques aussi drôles qu’atroces teintent la pièce d’un aigre cynisme. Les thèmes de l’hypocrisie sociale et de l’échec conjugal ont certes été mainte fois explorés par le théâtre, mais l’écriture est fine et mordante et les propos s’enchaînent chez les acteurs de manière rythmée, assurant la cohésion de la pièce.
La planification de cette pièce à l’humour décadent et explosif pour l’ouverture de la 25ème saison de la Grange de Dorigny donne le ton pour cette nouvelle programmation qui s’annonce pour le moins décapante.