La Mort-Marraine

La Mort-Marraine

Librement adapté du conte des frères Grimm par Anne Quesemand / Cie Mezza-Luna / Le Petit Théâtre / du 27 avril au 1er mai 2016 / Critiques par Waqas Mirza et Fanny Utiger.


27 avril 2016

Qui vivra mourra

©Claude Bussard

Heidi Kipfer revêt sa redingote noire, et fait sienne la yourte du Petit-Théâtre le temps d’une heure enchanteresse. Ce conte des frères Grimm réactualisé laisse bouche-bée tous ses invités.

« Il faut qu’on soit tout devant pour avoir la meilleure place ! ». Étonnant enthousiasme d’un petit chérubin à l’entrée, pour un spectacle intitulé « La Mort-Marraine ». Pas tant que ça, quand on sait que pour la dernière pièce de la saison, le Petit Théâtre a ouvert sa yourte. Et l’actrice Heidi Kipfer y déploie brillamment ses talents de conteuse. Les saynètes se suivent, et tout au long de cette heure qui fuit à grande vitesse, une seule chose reste constante : l’énergie débordante de la narratrice au sombre manteau et aux gants élégants. Sa cadence balance aussi prestement que sa voix, et elle enfile à la perfection tous les rôles de l’intrigue.

Au besoin, une épaisse barbe bleue fait irruption sur son menton, déclenchant immédiatement une voix grave, celle de Dieu qui rend visite au cordonnier Jean, père veuf et déprimé. Puis le timbre de la conteuse s’aiguise, accompagné d’un terrible sourire ; c’est l’arrivée du Diable. Malgré l’insistante prétention de ces deux personnages au titre de parrain du jeune enfant, c’est la Mort que le chausseur choisira pour ce rôle. Nul besoin de décors grandioses pour évoquer le royaume des vivants et des morts, le jeu impeccable de madame Kipfer peuple pleinement la scène de personnages authentiques.

A sa gauche, il y a également Michel Nikita Pfister, soigneusement occupé au doublage sonore. Son hackbrett apenzellois lui offre une palette incommensurable de sons. Et son accordéon égaie étonnement l’atmosphère lorsque la marraine chante haut et fort : « L’appétit vient en mangeant, la soif en buvant, la vieillesse en courant et la mort en vivant ! ». Le sujet est certes sordide, mais les quelques centimètres à peine qui séparent les mômes de la Mort semblent avoir l’effet escompté. L’ambiance chaleureuse des gradins en bois, en forme d’arène miniature, anéantit les angoisses et les peurs, alors même que les jeux de mots sur les thèmes lugubres se multiplient… « Qui vivra verra… Qui vivra mourra ! », lance la marraine au filleul, qu’elle a formé pour devenir le grand médecin Amor.

Amor rime avec Aurore, une belle princesse atteinte d’une maladie incurable, et dont la vue chamboule le cœur de l’illustre médecin. Se déclenche alors une intrigue amoureuse. Le romantique y supplante le maternel. Alors Amor la sauve contre les ordres de la grande Faucheuse, furieuse. Ce canevas général est repris du conte des Frères Grimm. Mais la réécriture d’Anne Quesemand la modernise considérablement, offrant même deux fins possibles. La plus joyeuse voit le filleul piéger la Mort dans une bouteille de bière – qui serait « mauvaise pour la santé », d’après le seul rejeton du public suffisamment intrépide pour interrompre la narratrice. Mais le moment du conte est sacré, et un regard assassin le réduit immédiatement au silence.

A part deux ou trois garnements réfractaires, personne ne meurt d’ennui. L’histoire capte et maîtrise véritablement l’attention des petits comme des grands. Les accompagnants ressortent même épatés d’avoir vu présenter une matière aussi épineuse avec tant de tact. Chapeau bas à la Compagnie Mezza-Luna qui navigue gracieusement en eaux troubles. C’est une nouvelle preuve que le dispositif merveilleux du conte rivalise encore sans conteste avec le petit et le grand écran qui associent ordinairement la mort aux méchants.

27 avril 2016


27 avril 2016

De l’éternelle mort la sereine ironie

©Claude Bussard

Heidi Kipfer revêt sa redingote noire, et fait sienne la yourte du Petit-Théâtre le temps d’une heure enchanteresse. Ce conte des frères Grimm réactualisé laisse bouche-bée tous ses invités.

« Il faut qu’on soit tout devant pour avoir la meilleure place ! ». Étonnant enthousiasme d’un petit chérubin à l’entrée, pour un spectacle intitulé « La Mort-Marraine ». Pas tant que ça, quand on sait que pour la dernière pièce de la saison, le Petit Théâtre a ouvert sa yourte. Et l’actrice Heidi Kipfer y déploie brillamment ses talents de conteuse. Les saynètes se suivent, et tout au long de cette heure qui fuit à grande vitesse, une seule chose reste constante : l’énergie débordante de la narratrice au sombre manteau et aux gants élégants. Sa cadence balance aussi prestement que sa voix, et elle enfile à la perfection tous les rôles de l’intrigue.

Au besoin, une épaisse barbe bleue fait irruption sur son menton, déclenchant immédiatement une voix grave, celle de Dieu qui rend visite au cordonnier Jean, père veuf et déprimé. Puis le timbre de la conteuse s’aiguise, accompagné d’un terrible sourire ; c’est l’arrivée du Diable. Malgré l’insistante prétention de ces deux personnages au titre de parrain du jeune enfant, c’est la Mort que le chausseur choisira pour ce rôle. Nul besoin de décors grandioses pour évoquer le royaume des vivants et des morts, le jeu impeccable de madame Kipfer peuple pleinement la scène de personnages authentiques.

A sa gauche, il y a également Michel Nikita Pfister, soigneusement occupé au doublage sonore. Son hackbrett apenzellois lui offre une palette incommensurable de sons. Et son accordéon égaie étonnement l’atmosphère lorsque la marraine chante haut et fort : « L’appétit vient en mangeant, la soif en buvant, la vieillesse en courant et la mort en vivant ! ». Le sujet est certes sordide, mais les quelques centimètres à peine qui séparent les mômes de la Mort semblent avoir l’effet escompté. L’ambiance chaleureuse des gradins en bois, en forme d’arène miniature, anéantit les angoisses et les peurs, alors même que les jeux de mots sur les thèmes lugubres se multiplient… « Qui vivra verra… Qui vivra mourra ! », lance la marraine au filleul, qu’elle a formé pour devenir le grand médecin Amor.

Amor rime avec Aurore, une belle princesse atteinte d’une maladie incurable, et dont la vue chamboule le cœur de l’illustre médecin. Se déclenche alors une intrigue amoureuse. Le romantique y supplante le maternel. Alors Amor la sauve contre les ordres de la grande Faucheuse, furieuse. Ce canevas général est repris du conte des Frères Grimm. Mais la réécriture d’Anne Quesemand la modernise considérablement, offrant même deux fins possibles. La plus joyeuse voit le filleul piéger la Mort dans une bouteille de bière – qui serait « mauvaise pour la santé », d’après le seul rejeton du public suffisamment intrépide pour interrompre la narratrice. Mais le moment du conte est sacré, et un regard assassin le réduit immédiatement au silence.

A part deux ou trois garnements réfractaires, personne ne meurt d’ennui. L’histoire capte et maîtrise véritablement l’attention des petits comme des grands. Les accompagnants ressortent même épatés d’avoir vu présenter une matière aussi épineuse avec tant de tact. Chapeau bas à la Compagnie Mezza-Luna qui navigue gracieusement en eaux troubles. C’est une nouvelle preuve que le dispositif merveilleux du conte rivalise encore sans conteste avec le petit et le grand écran qui associent ordinairement la mort aux méchants.

27 avril 2016


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