Par Deborah Strebel
Fresque / sur une idée de Marius Schaffter & Jérôme Stünzi / par le collectif Old Masters / Théâtre de l’Usine / du 19 au 25 mai 2016 / plus d’infos
Contemplation, dialogue et verdicts hésitants. Tel est le programme proposé par le collectif Old Masters en ce moment au Théâtre de l’Usine. De l’observation d’une esquisse aux débats sur sa conception, Fresque dévoile les coulisses de l’élaboration d’une œuvre avec une douce lenteur.
Le jeune collectif Old Masters, lauréat du prix Premio en 2015, se passionne pour la thématique de la création. L’année dernière avec Constructionisme, Marius Schaffter et Jérôme Stünzi, les deux fondateurs, ont imaginé un dispositif performatif de création, d’analyse et de dissection d’objets d’études. L’enjeu était de construire des objets à l’aide de bric et de broc et de les disséquer lors d’une conférence. Dans Fresque, il est à nouveau question d’élaboration d’une œuvre, mais cette fois-ci à plus grande échelle.
Fresque est un spectacle en trois parties. Tout d’abord, le public est convié à contempler une œuvre. Sur scène rien ne se passe. Une sorte de retable débarrassé de son autel, confectionné avec des panneaux en bois dignes de ceux vendus dans les do-it yourself, occupe tout l’espace. D’habitude richement ornés, les retables accueillent de nombreuses sculptures ou peintures. Celui-ci est vide de toutes décorations. Seuls deux ou trois cylindres transparents de diverses dimensions occupent quelques compartiments. Au-dessus, des néons sont suspendus. Entremêlés et formant un cercle, ils évoquent le neon bubble de Loris Gréaud.
Puis entrent deux personnages coiffés d’une étrange perruque en plâtre et vêtus de manière similaire, qui observent à leur tour l’imposante structure de bois jaune. Ensemble, ils vont discuter autour de ce work in progress. Dans de brèves scènes répétitives, à la fois plates et intrigantes, les deux personnages alternent le rôle du concepteur et de l’ami en visite. L’un montre l’avancée de son travail à l’autre. Leurs dialogues ciselés sont à la fois creux et émouvants. « Est-ce que tu pourrais siffler ici s’il te plaît ? », demande le jeune homme. Cette requête à priori naïve serait-elle une gentille pique aux actions parfois étonnantes ou obscures effectuées lors des performances ? Les discussions se suivent et se ressemblent. « J’ai toujours ces crises », annonce Charlotte. Plus tard, ce sera son ami qui souffrira de crises. Non pas simples redites, ces échanges se présentent comme des répétitions structurales avec variations. Ainsi, si les crises de Charlotte sont passagères, celle de Marius sont récurrentes. Un sentiment de déjà vu ou de déjà entendu s’installe dans l’esprit des spectateurs, comme c’est le cas avec le chef-d’œuvre lynchien Mulholland Drive. Ils parlent, un peu. Leur conversation est ponctuée de doutes, à propos de leur relation mais surtout au sujet de l’œuvre. Au final rien de plus naturel, si le doute est le père de la création.
Enfin, le couple disparaît et laisse place à l’œuvre. Grâce à de dynamiques jeux d’éclairage, l’installation s’anime. La lumière s’allume et s’éteint par intermittence, ce qui donne l’impression que le retable tangue et prend vie sous nos yeux. Un cylindre est rempli d’eau dont les bulles gazeuses tourbillonnent le long du tube. Comme une potion magique qui serait en pleine effervescence après le passage de deux sorciers ayant assemblé et mélangé plusieurs substances. Est-ce cela une œuvre d’art ? Un phénomène provoqué par la rencontre et la mise en contact de plusieurs idées ?
Contemplation, lenteur et doute sont les maîtres mots de cette piquante performance qui laisse songeur.