Par Valmir Rexhepi
Finir en beauté / de et par Mohamed El Khatib / Théâtre de Vidy / du 28 au 29 mai 2016 / plus d’infos
Finir en beauté, c’est commencer dans le doute. L’intimité crue de Mohamed El Khatib nous vole au visage, on ne peut rien faire pour l’éviter. Tant mieux.
Sous le chapiteau du théâtre de Vidy, assis sur des tabourets dans une atmosphère qui se veut intime, on attend, nous autres spectateurs venus pour Finir en beauté. Il y a là une télé à écran plat, une table, petite, sur laquelle repose une caméra, quelques papiers. Une ambiance de pièce de séjour. Chez qui sommes-nous ? Mohamed El Khatib arrive enfin, bonjour, nous lit quelques pages de son carnet, peut-être un préambule, j’attends. Puis je sens que Finir en beauté a commencé avec son arrivée, ou peut-être quand nous étions en file d’attente devant l’entrée, comme si nous jouions une visite funèbre. Ça parle, il nous parle du décès de sa mère. Étrange sensation de flottement : est-ce vraiment vrai ? J’entends, quelqu’un peut-il débarquer sur scène, se débarrasser de toute précaution fictionnelle et nous balancer, comme ça, la crudité de son intimité ? Devant nous, Mohamed El Khatib est Mohamed El Khatib, il ne joue personne sauf peut-être lui-même.
« Aujourd’hui, maman est morte » nous lâchait Camus en incipit de son Étranger. « Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Mohamed El Khatib, au contraire, sait précisément quand sa mère est morte. Et c’est à grands coups d’enregistrements audio retranscrits sur l’écran de la télévision, de vidéos et d’acte de décès qu’il nous le prouve. Sommes-nous là pour recevoir des preuves ? Les preuves font-elles une pièce ? Je ne sais pas. Puis je regarde autour de moi : nous sommes là, attentifs, touchés par la voix tremblante d’une femme, donnée par les haut-parleurs et en texte sur l’écran, qui comprend que tous ses allers-retours à l’hôpital ne l’auront pas sauvée. Alors les preuves ne sont plus seulement des preuves. Elles deviennent des motifs dramatiques : quelque chose se passe. J’assiste avec d’autres à la mort qui arrive, qui existe de plus en plus fort, dans la voix, sur le visage, dans l’écriture.
La parole s’arrête, les mains applaudissent. Mohamed El Khatib nous attend dans l’herbe dehors. Nous passons devant lui, sans trop savoir s’il faut dire bravo ou présenter ses condoléances.