Ta façon de mentir

Ta façon de mentir

Par Catherine Delmar et Alain Guerry / Théâtre 2.21 / du 19 avril au 1er mai 2016 / Critiques par Camille Logoz et Nadia Hachemi.


19 avril 2016

Dialogue de sourds

©Casolo Atelier obscur

Catherine et Alain. Deux prénoms fortement sexués qui d’emblée, révèlent le fossé entre les genres mis en scène – ou en œuvre – dans ce spectacle.

Un homme, qui prend énormément de place, maladroit, qui veut mieux faire mais qui ne sait pas comment s’y prendre. Il se voit et se sent prédateur sexuel. Il ne peut pas s’en empêcher.Une femme, que ses sentiments troublent et qu’elle estime incompatibles avec ses principes, qui perd pied. Elle ne sait pas ce qu’elle veut, elle n’est jamais contente.

La scène d’ouverture annonce la difficulté – celle des personnages, mais celle du spectacle aussi. Tous deux face public livrent tour à tour leur version de leur rencontre, en ignorant totalement la réaction de leur partenaire. Ils parlent, sans se rendre compte que ces paroles sont entendues, c’est-à-dire perçues, assimilées, et portant à conséquence. L’intercompréhension est vouée à l’échec.

Ces images figées du genre se présentent comme des prototypes. Tout le spectacle est porté par – ou repose sur – une myriade de clichés qui vont de la perception d’un genre par l’autre jusqu’à la description de la rencontre professionnelle et l’élaboration d’une production artistique. La relation homme-femme évolue ainsi sous les traits de deux avatars, fortement marqués par leur sexe, qui semble définir l’ensemble de leur personnalité.

Le spectacle se concentre sur le dialogue qui vire à l’affrontement de ces deux protagonistes dont le seul problème est qu’ils ne sont pas du même sexe, et n’arrivent pas à dépasser cette différence. Mais ce défaut de communication, ce conflit de perception n’est malheureusement jamais verbalisé comme tel. Il semble simplement évident que leur appartenance ou assignation à un genre pose problème. Empêtrés là-dedans, les personnages se répètent, l’un et l’autre ne savent pas où l’autre veut en venir – et le public non plus, malgré la connivence établie avec celui-ci à travers les traits stéréotypiques des personnages.

Au coin du plateau, des vêtements féminins sont exposés. Attributs de genre, que Catherine ne tardera pas à enfiler et qu’Alain ne mettra jamais. Une piste pour analyser les phénomènes de genre en termes d’attentes sociétales, de performance à produire? Mais une telle critique est absente, et on ne sait de quelle manière le problème a voulu être traité. La question de la relation d’un sexe à l’autre n’est pas fouillée, pas creusée, n’est abordée qu’en surface, qu’en vertu des malaises qu’elle fait surgir, sans qu’une problématique ne soit élaborée. Les deux personnages se mentent, comme le dit bien le titre. Lui s’en fiche de comprendre, veut qu’on lui donne la bonne réponse, la bonne façon de faire, les clés pour faire plaisir et ne plus se sentir « déplacé ». Il cherche à se rallier à une convention Elle ne fait aucune tentative pour faire passer un message concret, se contente de faire les gros yeux à la vieille vision du féminisme – mot jamais prononcé, il faut bien le noter – d’Alain, qui n’en retient que ce qui peut flatter l’homme (séduction assumée, liberté sexuelle, etc.). La pièce se termine sur un message assez simple, une première accroche, qui s’ouvre sur la poursuite nécessaire de cette exploration : « Il faut peut-être juste que j’arrive à dire, et que tu arrives à entendre ».

19 avril 2016


19 avril 2016

Petite psychanalyse entre amis

©Casolo Atelier obscur

Alain et Catherine ne sont pas épanouis. Dès leur rencontre, ils ont retrouvé chez l’autre les marques de leur propre dénuement. Sur scène, ils vont tenter d’avancer ensemble pour améliorer leur vie.

Un homme et une femme, Alain et Catherine, déambulent sur la scène éclairée tandis que les spectateurs s’installent. Puis tous deux s’immobilisent. L’un à côté de l’autre, debout face au public, ils racontent leur premier rendez-vous – ou plutôt leurs deux versions respectives de cette histoire, car ils sont loin d’être d’accord. D’une simple envie d’échanger, suscitée par l’appréciation du travail de l’autre, chez l’une, à la perception d’une tension romantique chez l’autre, que de place laissée à l’incompréhension mutuelle ! Ils ne perçoivent pas la même chose. Malgré ça, ou peut-être précisément pour cette raison, ils nous racontent avoir pris la décision de travailler ensemble sur eux-mêmes, sur leur vie. La conscience d’un certain blocage social (« on est un peu des losers ») engendre un besoin de changer leur quotidien.

L’ouverture de la pièce se présente ainsi comme la présentation du projet du spectacle, et enclenche un processus dialogique dont la forme mime celle d’une performance peu ou prou improvisée. L’assimilation partielle entre les personnages et les acteurs, qui partagent les mêmes prénoms, rend floue la frontière entre théâtre et vie réelle, dans un parfait brouillage entre différents niveaux de représentation qui contribue à placer l’entièreté de la pièce dans un espace liminal.

Alain et Catherine joignent leurs mains, se motivent et s’encouragent l’un l’autre : « Allez, on va aller jusqu’au bout, gratter où ça fait mal ». Leurs mots d’ordre ? « Bienveillance, authenticité, sincérité ». Bien qu’ils aient exprimé l’ambition de s’ouvrir globalement à l’autre, l’ampleur de leur échange va très vite être limitée par une thématique unique : les hommes, les femmes, leur incompréhension mutuelle, leurs rapports conflictuels. Sujet délicat s’il en est un ! Les altercations sont omniprésentes : un simple mot bienveillant, mais mal placé, peut bloquer le progrès d’une interaction qui se fait très vite tendue. Le choix du ton à adopter, celui du travail ou d’un échange plus détendu, se révèle houleux. Rapidement, l’on bascule dans une atmosphère plus sensuelle. Les réactions de la jeune femme, mal à l’aise dans son rapport à la séduction, oscillent entre crises de colère et indulgence envers les tentatives maladroites d’Alain. Les deux personnages partagent un sentiment palpable de profond malaise face à l’autre sexe qui s’infiltre jusque dans les détails de leur quotidien le plus banal. Leur incapacité à trouver une posture qui semblera convenable aux membres du sexe opposé engendre une multitude de quiproquos cocasses qui ne peuvent que faire rire.

Chacun est plein de bonnes intentions, chacun tente d’être ouvert, mais malgré tout, une vraie communication peine à se créer. Alain, pourtant sensible à la condition féminine, ne la comprend pas et semble même parfois se sentir attaqué par certains comportements qui en découlent directement. Un reproche du même ordre est à faire à Catherine ! Chacun enfermé dans sa propre perspective, limité par son expérience, conditionné par son genre, reste hermétique au point de vue de l’autre. Deux personnages un peu butés, un peu stéréotypés : l’homme balourd qui met toujours les pieds dans le plat, la féministe quelque peu excessive. Des caractères simplistes ? Pas vraiment pourtant… Et c’est bien le fossé qui les sépare qui donnera sa beauté à l’évolution de leur échange. Car finalement, contre toute attente, rapprochement il y aura. Lentement, sans que l’autre s’en aperçoive, chacun chemine vers une meilleure compréhension de l’autre.

Alors que les personnages restent partiellement dans l’ignorance de l’évolution des pensées de l’autre, les regards que les deux acteurs adressent directement à la salle ne peuvent laisser les spectateurs dans l’ombre. Complice de chacun et glissé au cœur de leur échange, le public est rendu à même de prendre de la distance par rapport à ces deux voix, mais aussi par rapport à sa propre existence. Peut-être cette pièce se veut-elle une invitation à réaliser dans sa vie le travail sur soi auquel jouent à se prêter les deux performers ? La fin abrupte du spectacle, qui laisse le spectateur curieux et donne l’impression de mettre un terme à un élan bien avant son épuisement, nous amène à le penser. Et si nous sortions de la salle pour écouter ceux qui croisent notre route avec autant d’attention que celle que nous avons portée aux personnages de cette pièce ?

19 avril 2016


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