Par Valmir Rexhepi
Sans peau / texte et mise en scène Pierre Lepori / Théâtre 2.21 / du 29 mars au 3 avril / plus d’infos
C’est son roman ; c’est aussi sa première pièce. Pierre Lepori allume une folie, Sans peau, un spectacle qui nous marque au fer rouge.
Il y a d’abord une voix.
L’air vibre dans le noir, plein des mots de Carlo (Jean-Luc Borgeat). Puis quelque chose s’allume, chatoie dans un coin ; une flamme dont la pâle lueur suffit pourtant à sculpter dans la masse noire une forme grise, un cadre de lit rouillé, une chaise. De la masse grise s’échappent maintenant des sons sifflés, murmurés, à peine ébauchés. Il y a dans le gris quelque chose, une mécanique brisée, un homme : Samuel (Pierre-Antoine Dubey).
Samuel est Prométhée, mais un Prométhée pyromane, volant le feu et incendiant l’Olympe, dans les cendres s’enivrant de braises. Carlo n’était personne ; le voilà victime des flammes de Samuel. Dans les cendres du brasier, Carlo forge une relation, un alliage de mots qui seul peut pénétrer la prison dans laquelle brûle Samuel. Ça se passe par des lettres lues, le visage de Carlo projeté sur les murs de la prison.
« Dehors, le monde n’a pas cessé d’exister ». En dehors d’une prison qui n’est nulle part, bulle de béton sillonnée des mille mots de Samuel, des mille paroles qu’il lance contre les murs de sa geôle ; cage pénétrée en retour de la voix de Carlo, colorée de son visage.
Pierre Lepori donne sur scène quelque chose qu’il avait d’abord livré aux pages. L’histoire d’un pyromane, d’un pyrophile, d’un pyrofou. L’histoire d’une conscience qui brûle, qui se consume sans s’éteindre. L’œuvre textuelle, faite de mots, est devenue œuvre scénique, faite de chair. Une chair crue, folle, sans peau, que seul le béton de la prison peut contenir, pour un temps.
Un mur, face à nous, s’écroule. Samuel a enfin répondu aux lettres de Carlo. Sa voix a cessé de rebondir sur le béton qui l’entoure, a fini par le fissurer.
Reste alors le silence.