Passage en silence

Par Waqas Mirza

Bérénice / de Jean Racine / mise en scène Olivier Chapelet / Théâtre du Passage / 22 avril 2016 / plus d’infos

©Raoul Gilibert
©Raoul Gilibert

Pour un soir seulement, l’histoire tragique du triangle amoureux antique s’installe à Neuchâtel. Sans laisser d’impressionnantes traces, elle ne fait que passer, dans tous les sens du terme.

« Je vous rappelle juste que c’est une langue ancienne, et que pour réussir à faire des alexandrins, l’auteur devait déplacer des mots pour faire rimer les vers.. » Ainsi Olivier Chapelet prévient-il son public quelques instants avant le début de Bérénice: une mise en garde dont auraient parfaitement pu se passer les spectateurs. Car il aurait été impossible de manquer les imposantes colonnes plantées à gauche du metteur en scène. Elles sont au nombre de douze, à l’instar du nombre d’heures sur lesquelles s’étend l’intrigue, ainsi que du nombre de syllabes qui rythment le vers classique. De même, il aurait été difficile de prendre les répliques pour tout autre mètre que l’alexandrin, tant le travail de diction interloque le tympan contemporain. Peu accoutumé à ce genre de rythme, celui-ci saisit d’emblée que le texte déclamé a traversé plusieurs siècles.

Pourtant, tout porte à croire que la mise en scène sera aussi contemporaine que son public: un plateau éclairé en bois, lisse et incliné, quelques chaises disposées aux extrémités vouées à l’obscurité. Et c’est tout. Ce vide apparent désœuvre rapidement le regard qui se concentre plutôt sur les costumes. Mais les robes blanches fluides, quelques capes et un manteau impérial ne sont pas pour compenser la simplicité du décor. Les acteurs n’affichent pas une grande excentricité dans le jeu non plus. Yann Siptrott, qui incarne Antiochus, se passe d’entrée en scène flamboyante. Installé dans la pénombre avec le reste de la compagnie OC & Co, il attend que le silence l’invite à monter sur le plateau, pour déclamer les tourments d’un prince qui s’est tu trop longtemps. Son mutisme fera son malheur.

Le silence n’est pas seulement le motif central de la pièce, il en est également le principal ressort dramatique. Toute l’action repose sur les aveux attendus et sans cesse différés de Titus, successeur de l’Empereur de Rome: son cœur bat pour Bérénice, mais face à la désapprobation du Sénat, il se voit contraint de congédier la reine de Palestine. Il s’agit d’une occasion rêvée pour Antiochus de quitter l’ombre, et de récupérer celle qu’il adore secrètement. Cependant, aussi taciturne que Titus, il est incapable de lui révéler ses sentiments. L’un voudrait aimer Bérénice, l’autre ne le peut pas. Magnifié par tant de personnages muets qui taisent leurs pensées, le silence habite les conversations au point de devenir parole. Il prend une place telle qu’il suscite constamment des interprétations de la part des personnages.

« Toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien » écrivait Racine dans sa préface de la pièce. Or ce rien, dans cette production française devient synonyme de simplicité, de sobriété excessive. Et malgré la performance honorable de Gaël Chaillat et l’élocution soignée d’Aude Koegler, la Bérénice de Chapelet souffre d’un manque d’intensité. Quelques percussions ne suffisent pas à faire ressentir le tiraillement émotionnel des personnages. Et l’exotisme suggéré par les quelques notes orientales entre les actes reste incomplet. Seules les cordes du oud vibrent dans la salle ; le public, lui, reste de marbre.