Par Marie Reymond
Sugungga / conception YoungSoon Cho Jacquet / par la Cie Nuna / Le Petit Théâtre / du 13 au 24 avril 2016 / plus d’infos
Comment évoque-t-on une histoire sans utiliser la parole ? Comment Sugungga, conte issu de la tradition coréenne ancestrale du pansori (art du récit chanté accompagné d’un tambour), peut-il nous parler sans qu’un mot ne soit prononcé ?
Dans le café du théâtre, peu avant que le spectacle ne commence, les adultes sont entourés des enfants qu’ils accompagnent. Ils lisent l’histoire de Sugungga – distribuée avec les billets – aux petits spectateurs : le dragon, Roi des mers, souffre d’une maladie qui semble incurable ; son médecin lui prescrit un foie de lapin, introuvable dans la mer ; la tortue se porte volontaire pour le trouver, et sa quête peut commencer. Avant même que nous ne soyons entrés dans la salle, quelque chose de crucial a eu lieu : les spectateurs ont désormais une mémoire commune. C’est ainsi que, bien que rien ne se dise sur scène, ils peuvent suivre les péripéties : c’est dans le souvenir du public que se déroule le fil de la narration.
Sur scène, trois arts – mouvement, percussion et yodle – et trois performeuses. Ce sont par ces voies que passent les émotions. L’histoire se déroule sous forme de tableaux successifs que les spectateurs mettent en lien avec le conte qu’ils ont en tête. Le dragon peut ainsi s’incarner dans la danseuse qui se glisse dans une énorme structure de bois, les cris de douleur, la démarche lourde et incertaine. La quête de la tortue prend vie dans une scène qui mêle les gestes à la percussion corporelle, et dont l’accélération progressive traduit l’urgence de la situation.
Les lumières bleues et les sons sous-marins font place aux chants d’oiseaux et à une lumière aveuglante tandis que l’on suit la tortue du monde marin au monde terrestre. Et la poursuite des lapins, représentés par des petits sacs en plastique blancs fermés dont les anses rappellent effectivement une paire d’oreilles, restera longtemps dans la mémoire des petits spectateurs, à croire les éclats de rire qui ont salué les petites bêtes.
On ne sait pas toujours exactement où l’on en est dans la trame narrative. On croit reconnaître un personnage, un moment, puis tout se mêle et l’on n’est plus sûr de rien. Au fond, tout le plaisir de ce spectacle réside dans la performance partagée et la remémoration collective, par le biais d’une heureuse association des arts.