La Suppliante
De Bastien Fournier / mise en scène Marine Billon / par la Compagnie du Homard / TLH (Sierre) / du 14 au 24 avril 2016 / Critique par Suzanne Crettex.
14 avril 2016
Par Suzanne Crettex
Soi-même comme l’autre ?
Que faire de la misère quand elle apparaît sous les traits d’une jeune mère, quand elle dort devant notre porte, et quand elle est hors-la-loi ? Fermer les yeux, tourner la tête ?… Ces questions que pose La Suppliante nous rappellent aussi que la responsabilité politique rejoint intimement la responsabilité individuelle.
Comme les cinquante Danaïdes d’Eschyle poursuivies par leurs cousins, une femme, « la Suppliante » a quitté son village d’origine, son père, ses frères, ses oncles, pour gagner une terre qu’elle croyait lui être promise. Elle a traversé les terres, les mers, les océans, pour arriver dans cette cage d’escalier d’immeuble, aux murs salis, devant une porte fermée. Où elle peut enfin allaiter son fils au chaud.
Elle voulait la concorde, mais qu’est-elle sinon la situation du plus fort, quand il a « réduit les faibles au silence » ? Un horrible mensonge, en somme. Et cette autre femme, qui refuse à l’exilée son toit sous prétexte qu’elles ne sont pas nées de la même mère et surtout, pas sur la même terre, est la figure d’un instinct de domination qui ne recule devant rien, se cachant derrière les mots de justice et de légalité. Elle se persuade qu’elle ne fait rien de mal, puisque l’étrangère, venue de pays lointains, n’existe pas sous le regard de la loi.
Dans une mise en scène épurée de la compagnie du Homard, le texte de Bastien Fournier transparaît dans toute sa rudesse et sa puissance à la fois. Incisifs et comptés, les mots fouillent, triturent, blessent. La musique et la danse, réduites à leur plus simple appareil, révèlent et exacerbent les tensions tragiques qui structurent la pièce.
Ainsi ciselée, cette tragédie moderne nous donne l’occasion de réfléchir sur le sens du sacrifice, du courage, et de ce que l’altérité nous renvoie de nous-mêmes. De quoi avons-nous peur chez l’autre ? Et peut-on se cacher derrière une loi qui ne protège plus, mais exclut et stigmatise ? Au-delà de la question politique de « l’étranger », du « réfugié ou de l’immigré », le spectacle nous donne bel et bien l’occasion de réfléchir à notre responsabilité personnelle : la « Suppliante » est peut-être aussi celle que nous croisons tous les jours, au bas de notre immeuble, et devant qui nous tournons la tête…
14 avril 2016
Par Suzanne Crettex