La Mélopée du petit barbare

La Mélopée du petit barbare

De Julien Mages / mise en scène Julien Mages / Cie Julien Mages / Arsenic / du 8 au 14 avril 2016 / Critique par Nadia Hachemi.


8 avril 2016

Les intrus de nos songes

©Sylvain Chabloz

Entre le sommeil et l’éveil, l’onirique et le cauchemardesque, ce spectacle prend la forme d’un songe. Le personnage s’élance, fuyant ou poursuivant des bribes de son passé. Tiraillé entre l’univers familier de l’enfance et celui plus incertain de la mort, le jeune homme est perdu. Heureusement, l’intruse qui hante son sommeil le guide.

La salle s’assombrit complètement. Les spectateurs peuvent se croire seuls, ne distinguant plus la silhouette de leurs voisins, jusqu’à ce qu’au loin une figure fantomatique apparaisse, s’illuminant lentement. En face de ce personnage qui se révèle silencieusement à nous, à l’autre bout de la scène, complètement dans l’ombre, un homme parle. Recherchant le sommeil, ou peut-être déjà plongé dans un rêve, il est hanté par des figures d’oiseaux. Leur envol est symbole de départ : liberté de tout quitter d’un battement d’ailes.

Le spectacle est une intrusion dans l’imaginaire de cet homme. Son esprit va voguer le soir pour chercher le sommeil dans le musée d’histoire naturelle de son enfance, où libre cours est laissé à sa mélopée adressée à des oiseaux empaillés. « – Qui es-tu ? – Toi d’abord ! Mais je suis là, parle moi. » Peu à peu un dialogue s’instaure pourtant entre les deux personnages, tous deux maintenant pleinement éclairés. Le second est une femme, que le jeune songeur connaît sans oser la reconnaître. Ancien délinquant adolescent, trentenaire paumé, il refuse le monde, son organisation, et rejette une société de contrainte que seule la lumière dans les feuilles peut égayer. Son envie de partir, de mourir est racontée, de même que le souvenir d’une cellule dans laquelle, intérieurement, il criait : « Maman ». La mémoire d’un départ surtout, qui le plonge continuellement dans un tourbillon d’émotions : « je le hais, je le hais, je l’(h)ai-me… je l’aime ». De la colère à l’acceptation de la douleur, du rejet des autres à la reconnaissance de sa solitude, le personnage chemine péniblement vers un semblant d’apaisement. Vers une réconciliation avec son passé, faute de pouvoir renouer avec ceux qui l’ont quitté.

L’identité de la femme, mystérieuse et familière à la fois, est clarifiée quand la figure d’un homme fait irruption dans le discours des deux personnages : celle du père. C’est la mère qui, sous l’apparence de cet étrange fantôme, crée une brèche dans l’esprit de son fils et permet l’invocation imaginaire de pans du passé. La pièce, réalise-t-on tardivement, évoque le couple parental à travers l’apparition de cette intruse. Derrière cette dernière se cache aussi l’alter ego subconscient du personnage principal qui se débat, lutte contre ses désirs et sa culpabilité.

La pièce laisse toute sa place au langage. L’angle d’un mur sombre qui forme le fond de la scène est le seul décor d’un huis clos animé par la profondeur des tirades poétiques déclamées par les deux acteurs. Leur jeu épuré peut donner envie au spectateur de fermer les yeux pour mieux se concentrer sur les mots. L’utilisation de la lumière est très belle : l’entrée dans le spectacle place d’emblée dans une atmosphère de songe clair-obscur, qui sera réaffirmée par un jeu d’ombres chinoises aériennes. La récurrence du rêve qui obsède le personnage est rythmée par des interludes musicaux joués dans l’obscurité.

Un spectacle qui ne peut que rendre songeur, et qui réussit à créer une tension à travers les mots uniquement. Nul besoin de péripéties pour créer du suspense et ensorceler le spectateur, la poésie des paroles s’en charge ! Le texte, marqué par la fragmentation propre au sommeil, plonge les spectateurs dans l’interprétation ardue d’une pièce qui captive et fait intensément réfléchir.

8 avril 2016


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