Par Luc Siegenthaler
Ctrl-x / de Pauline Peyrade / mise en scène Cyril Teste / Le Poche / du 11 avril au 1er mai 2016 / plus d’infos
« Il a vu. Il m’a vue, moi ». Tel est le souhait le plus cher d’Ida : se mettre en scène virtuellement pour se faire voir et être aimée. La mise en scène de Cyril Teste présente l’envers des écrans : une réalité monotone, sombre, complexe, qui ne s’appréhende pas avec des « like ».
Dans Ctrl-X, le spectateur est plongé dans un univers désenchanté : celui qui se cache derrière les écrans, les tchats, les selfies. Sur scène, Ida. Une jeune femme seule, alcoolique, et surconnectée. Elle regarde brièvement sur son ordinateur une émission consacrée à Jack l’éventreur, un sketch de Florence Foresti, un reportage sur Damas. Elle consulte aléatoirement des pages Wikipédia, des pubs. Rapidement le monde extérieur fusionne avec la réalité virtuelle : les fenêtres de l’appartement se transforment momentanément en écrans où sont projetés différents emails, sms, vidéos. Parallèlement, Ida « tchate » avec Laurent, un amant, et se dispute avec sa sœur Adèle par téléphone. Tous deux l’attendent devant chez elle pour la voir : l’un pour coucher avec. L’autre pour l’aider à se soigner. En vain. Seuls les échanges virtuels conviennent à Ida et lui permettent de se sentir exister. Coupée de tout contact tangible, de toute réalité sensible, elle ne fait qu’observer Laurent et Adèle à l’aide d’une caméra : ils ne sont que des images supplémentaires indifférenciées. Quant à Pierre K., photographe professionnel et ancien amant d’Ida, elle ne le voit qu’à travers Google image et ne l’entend que par l’intermédiaire d’entretiens enregistrés. Mais voilà que le monde virtuel dépasse la réalité et que les fantasmes les plus intimes d’Ida se matérialisent : Pierre K. apparaît et la filme. Il ne la touche pas. Ce qu’elle souhaite, c’est être vue, admirée, adulée par un photographe professionnel, capable de la capturer sous son meilleur angle. Obsédée par son image, Ida ne peut entretenir de relation avec autrui : le seul moment sensuel de la pièce surgit lorsqu’elle se masturbe devant une vidéo lesbienne.
Ctrl-X thématise brillamment le rapport superficiel qu’entretient l’individu contemporain aux images virtuelles, quelle que soit leur nature. Pierre K., photographe de guerre, est témoin de la réalité des conflits armés. Il tente de la capter le plus fidèlement possible sans la romancer, en vue d’informer le monde occidental. Mais même ces « images survivantes » sont vouées à terminer sur Google image, à être visualisées par Ida en un coup d’œil, sans distinction, sans compréhension, pour tout de suite être oubliées. Elles sont englouties comme de simples M&M’s.
Sans être moralisateur ni alarmiste, Ctrl-X porte un regard pessimiste et extrêmement réaliste sur l’importance démesurée que l’individu contemporain accorde aux échanges virtuels. Mais le spectacle se termine. Il est temps de rallumer son smartphone.