Théâtre vert

Par Julia Cela

Recyclage et autres petites philosophies suspectes / conception Katy Hernan et Adrien Rupp / par la Compagnie Zooscope / Théâtre St-Gervais / du 15 au 26 mars 2016 / plus d’infos

©Sylvain Chabloz
©Sylvain Chabloz

La Compagnie Zooscope propose un spectacle écologique, où les costumes, la musique, les lumières et des bouts de vie de chacun des comédiens sont recyclés en une pièce aussi inédite que le personnage qui la porte : le tout premier plancton de l’histoire de l’art vivant.

J’aime bien pouvoir choisir mon siège au théâtre. Quand le placement est libre, je suis toujours un peu en avance. J’entre donc dans la salle cinq minutes trop tôt. Me voilà toute empruntée, quand, en levant les yeux je remarque ceux que je prends d’abord pour des techniciens, sur scène, installés dans du mobilier de jardin en plastique, à examiner une dernière fois les images projetées en fond de scène. En l’occurrence, une page Wikipédia. Ma gêne s’intensifie, alors que je remarque, de l’autre coté de la scène une comédienne en costume. Je ne comprends pas. La dame à l’entrée m’a pourtant gentiment pris mon billet, en me souhaitant une bonne soirée. La comédienne en costume me dit : « Bonsoir ». Soulagement. C’est normal. Je crois. Je vais donc m’assoir et me plonge dans le contenu Wikipédia. Je me demande si l’on a vraiment créé une page sur la célèbre « encyclopédie libre » rien que pour le spectacle. Je lève les yeux vers l’adresse : www.recyclage.zooscope.ch. Je commence à rire.

Recyclages et autres petites philosophies suspectes poétise, tout en légèreté, le plaisir simple de se voir raconter une histoire. Ici, un plancton, un pingouin, un panda, une goutte d’eau, une femme toute nue et deux hommes accoudés à une table de jardin nous racontent la genèse du projet qui leur a donné vie. On nous rapporte avec humour les faits et gestes de chacun, en amont du spectacle. Ainsi, un plancton nous raconte comment la comédienne qui l’anime a rencontré la co-metteuse en scène. Le panda, lui, raconte la passion de l’homme caché sous son costume pour les voix, la manière dont elles font vivre un corps. C’est du recyclage. Chacun des personnages raconte des tranches de vies de son comédien, pour en faire une nouvelle matière. Chaque situation a déjà été vécue. Il suffit pourtant qu’on nous propose de l’écouter comme une nouvelle histoire, et nous voilà suspendus aux lèvres d’un pingouin qui relate les années de service civil du comédien qui lui prête sa voix.

Ces récits de bouts de vie sont entrecoupés de moments de textes, philosophiques et vibrants, dits comme avec recul. Savamment articulés au corps de la pièce, ces intermèdes sonnent comme des digressions par rapport au récit de la création de la pièce. Accompagnés de musique, d’images et d’effets de lumières, recyclés à partir d’autres pièces eux aussi, ils font oublier qu’une seconde auparavant, on nous racontait un après-midi au Laser Game. Soudain, cependant, au milieu de cet instant gracieux, suspendu, un comédien adresse un clin d’œil à un camarade. On rit, alors, de voir le plancton abandonner une fraction de seconde son dire de tragédienne, pour adresser un geste de la tête complice qui félicite le co-metteur en scène en costume de pingouin pour son écriture, puis reprendre le fil de son texte comme si de rien n’était. Le jeu de texte constant entre personnages et comédiens entretient tout au long du spectacle un régime d’alternance au rythme dynamique dont le comique opère à merveille. Le public rit d’un rire parfois bienveillant, parfois gras et souvent attendri, à la cadence des « scrolls » dans le domaine wiki qui ponctuent tout le spectacle. Une pièce toute en légèreté, qui peut-être se moque par instant du théâtre pour rappeler qu’après tout, l’important, c’est de raconter des histoires.