Les Fondateurs font des enfants

Les Fondateurs font des enfants

Conception de Zoé Cadotsch et Julien Basler / Le Petit Théâtre / du 16 au 20 mars 2016 / Critiques par Valmi Rexhepi et Waqas Mirza.


16 mars 2016

À l’épreuve de la récréation

©Laurent Nicolas

La compagnie « Les fondateurs » s’arrête sur les planches du Petit Théâtre pour livrer une performance toute en simplicité. Mais simple ne rime pas avec facile.

Proposée déjà durant la saison 2013/2014 au Théâtre de l’Usine, au Théâtre de la Bavette à Monthey et au TLH de Sierre, la pièce Les fondateurs font des enfants resurgit en ce printemps timide au pied de la cathédrale de Lausanne. La compagnie improvise devant des enfants (le spectacle leur est avant tout destiné), avec comme seul point d’attache l’élaboration d’une structure en ballons. On pourrait croire que partir à la conquête de ces spectateurs hauts comme trois – ou cinq – pommes est chose facile : faire des mimiques, prendre un accent puéril, exploser un ballon. Mais les enfants, ça trompe énormément.

Il y avait nous, aussi, quelques plus ou moins adultes (quatre sur la scène, le reste disséminé dans la foule de petites têtes blondes, brunes, rousses). Nous qui parfois allons au théâtre, qui nous taisons docilement une fois le spectacle commencé. Nous qui retenons le moindre éternuement, le plus petit raclement de gorge ; parfois nous osons rire, mais ça ressemble plus à un soupir. Et à la fin, nous applaudissons avec vigueur (et désarroi parfois: voici les comédiens qui reviennent, encore, encore). Là, ce n’était pas du tout ça.

Les quatre personnages arrivent sur scène et commencent quelques étirements avec des ballons encore vides qu’ils vont bientôt gonfler à l’aide de seringues. Le projet fonctionne plus ou moins, et pour les enfants aussi ça fonctionne plus ou moins : « mais qu’est-ce qu’ils font ? » lance sans gêne une petite. La question me travaillait aussi, mais quand, dans mes délires les plus fous, aurais-je osé le dire si fort durant la représentation ? Plus tard un garçon s’exclame : « C’est pas drôle ! ». Suprême arrogance…

Dans ma tête d’universitaire, j’essaie de trouver des liens pour décrire ce qui se passe à ce moment-là. Je me rappelle qu’il y a eu du théâtre sur le parvis des églises (la cathédrale de Lausanne est juste à côté), je me rappelle que durant les représentations les spectateurs vivaient, parlaient, riaient, qu’il fallait de temps en temps moucher les chandelles. Bref, je me rappelle aussi cette phrase d’Aldo Rossi qui disait que le théâtre est le lieu où se déroule la vie. C’est un peu ce que j’ai vécu durant la représentation : c’était la récréation. Quelques-uns racontaient des histoires, des souvenirs, de terribles mensonges, organisaient de merveilleux projets. D’autres (les spectateurs) écoutaient, approuvaient, participaient, sanctionnaient. Ceux-là étaient sévères. « C’est pas drôle ! » avait encore lancé le même garçon. Ils étaient sévères, mais bienveillants : les voilà qui rient de bon cœur et qui sincèrement s’émerveillent lorsque la structure de ballons se dresse. « Comment ils font ? »

À la fin, nous autres plus ou moins adultes, nous avons applaudi. Les enfants, eux, sont allés jouer sur la scène, il y avait des ballons.

16 mars 2016


16 mars 2016

Gonflés à bloc

©Laurent Nicolas

La compagnie « Les fondateurs » met la patience des petits à l’épreuve. Sur une scène sans décor peuplée par des acteurs, la pression monte petit à petit. Avec de nombreux éclats… de ballons, de rire, et parfois pire.

Pleine à craquer, la salle intime du Petit Théâtre lausannois en ce mercredi après-midi. Pendant que le jeune public prend place sur ses longs bancs rouges, quelques retardataires cherchent à caser leur manteau dans le vestiaire « imitation école primaire ». Les crochets sont aussi rares que les places pour voir la pièce, qui affiche d’ores et déjà complet jusqu’au 20 mars. Les parents tiennent à accompagner leurs petits, curieux de voir à l’œuvre cette compagnie productrice d’expériences théâtrales originales depuis 2009. Sous surveillance parentale, le brouhaha s’estompe rapidement; mais la révolte enfantine s’exprimera plus tard sans aucune gêne.

Quatre acteurs entrent sur scène, tous de bleus vêtus. Sans mot dire, ils chauffent des ballons à sculpter, les étirant à souhait. Tout à coup, une compétition est lancée: chacun gonfle son ballon à l’aide d’une petite pompe et tente de modeler un chien, tant bien que mal. Pendant que sur scène se multiplient les explosions et la production de caniches difformes, dans le public les uns ricanent joyeusement, tandis que d’autres luttent avec leur raison pour donner un sens à ces évènements décousus. Ils peineront tout au long du spectacle, qui maintiendra jusqu’au bout un jeu d’acteur entièrement fondé sur le principe de l’improvisation. À chaque nouvelle représentation, la partition est construite dans l’instant pour enrichir l’intrigue principale: faire avancer la fabrication du décor.
De micro-histoires s’imbriquent certes dans cette base dramaturgique: un groupe d’adultes qui prépare une grande structure pour une fête d’anniversaire. En attendant, ils discutent en liant des ballons de toute forme: de longs ballons à modeler qu’ils baptisent et classent comme « foufou », « demi-foufou » ou « anti-foufou », et des ronds gonflés à l’hélium afin de faire flotter les autres. S’ils ne gonflent pas des ballons, ils discutent. Ressassent des souvenirs de leur propre enfance: les cadeaux qu’ils avaient reçus, le premier vélo d’un rouge inoubliable, le collier de perles indestructible, le gâteau gigantesque contenant un poney. Parfois ils font bande à part, s’élisent mutuellement « chefs du groupe », se disputent puis se réconcilient.

Le public, lui, reste très partagé, et donne régulièrement son avis. Si les amusés rient à pleines dents, les ennuyés n’hésitent pas à le faire savoir. À plusieurs reprises, un garnement crie son mécontentement. La compagnie intègre ses récriminations sans se laisser faire. Son cruel et fréquent « C’est pas drôle! » devient un refrain dans la bouche des acteurs qui lui adjoignent systématiquement « Et c’est pas grave ». Non, ce n’est pas grave – sauf quand une famille décide de quitter la salle dix minutes avant la fin de la représentation!

Mettant l’accent sur la construction en live d’un espace au détriment de celle d’une intrigue, Zoé Cadotsch et Julien Basler qui dirigent Les Fondateurs ne font pas seulement « des enfants », ils font du contemporain enfantin. Et comme avec le public adulte, ça ne marche pas à tous les coups. Si, à la première, certains ont accueilli avec plaisir l’énergie investie par les acteurs ainsi que les ballons offerts au public à la fin de la pièce, d’autres semblent avoir regretté amèrement qu’on leur ait dérobé une heure précieuse habituellement dédiée aux écrans minuscules des tablettes numériques.

16 mars 2016


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