Par Valmir Rexhepi
Sallinger / de Bernard-Marie Koltès / mise en scène Sandra Gaudin / La Grange de Dorigny / du 10 au 12 mars 2016 / plus d’infos
Puissant et rythmé, Sallinger est une balle chevrotine, un obus explosif, une grenade incendiaire qui nous saute à la figure sans crier gare.
Sandra Gaudin tient la barre. À bord, les comédiens de la compagnie Un Air de Rien s’affairent pour aborder la pièce écrite par Koltès à la fin des années septante. Après plusieurs créations, la metteuse en scène et sa compagnie partent pour la première fois à la conquête d’un texte de théâtre, Sallinger. Pour celles ou ceux qui chercheraient un lien entre le titre de la pièce de Koltès et l’auteur Salinger, le premier a pris le second, lui a donné deux ailes. Il y a Salinger, quelque part six pieds sous terre. De celui-ci je ne saurais rien écrire, la pièce n’en dit rien. Et il y a Sallinger qui est venu se poser sur les planches du théâtre de La Grange de Dorigny. Celui-là est mon affaire.
Ils arrivent, en file, devant le rideau rouge qui encore ferme la scène. Je me dis qu’une fois de plus, c’est une pièce qui s’ouvre sur un flou entre la fiction et la réalité. Il n’en est rien. Une voix off annonce les personnages qui pénètrent alors derrière le rideau. Deux femmes restent cependant : le rideau que je croyais être un rideau est une grille que les deux protagonistes ne parviennent pas à franchir. Malin et efficace.
À la veille de la guerre du Vietnam, « Le Rouquin » se suicide. Il n’est pour autant pas mort. Au contraire, il n’a jamais été aussi présent pour les membres de sa famille et de son entourage proche. Tout au long de la fiction, il vit dans les histoires que sa mère Ma raconte, dans les névrotiques logorrhées de sa sœur Anna, à travers les balbutiements et les phalliques diatribes guerrières de son père Al. Et puis, le voilà qui fait irruption par un mur sur ma droite, malmène et converse avec son frère Leslie, bientôt appelé sous les drapeaux.
« Pauvre con ! »
L’impertinence travaille le personnage à la crinière rousse, l’indocilité, l’irrévérence. Il est mort ? Il nous emmerde, fracasse contre les murs du correct nos pitiés, nos raisons, nos indifférences et nos affections. La guerre l’a tué avant d’avoir commencé, lui qui aimait regarder les étoiles un sac de poubelle à la main. Ça nous attriste ? « Pauvres cons !»
Leslie est là, il ne parle plus. Un frère suicidé parle à côté de lui. Leslie va partir à la guerre, le Rouquin lui tend un pistolet. Leslie va mourir ? C’est bien fait !