Par Waqas Mirza
Les Fondateurs font des enfants / conception de Zoé Cadotsch et Julien Basler / Le Petit Théâtre / du 16 au 20 mars 2016 / plus d’infos
La compagnie « Les fondateurs » met la patience des petits à l’épreuve. Sur une scène sans décor peuplée par des acteurs, la pression monte petit à petit. Avec de nombreux éclats… de ballons, de rire, et parfois pire.
Pleine à craquer, la salle intime du Petit Théâtre lausannois en ce mercredi après-midi. Pendant que le jeune public prend place sur ses longs bancs rouges, quelques retardataires cherchent à caser leur manteau dans le vestiaire « imitation école primaire ». Les crochets sont aussi rares que les places pour voir la pièce, qui affiche d’ores et déjà complet jusqu’au 20 mars. Les parents tiennent à accompagner leurs petits, curieux de voir à l’œuvre cette compagnie productrice d’expériences théâtrales originales depuis 2009. Sous surveillance parentale, le brouhaha s’estompe rapidement; mais la révolte enfantine s’exprimera plus tard sans aucune gêne.
Quatre acteurs entrent sur scène, tous de bleus vêtus. Sans mot dire, ils chauffent des ballons à sculpter, les étirant à souhait. Tout à coup, une compétition est lancée: chacun gonfle son ballon à l’aide d’une petite pompe et tente de modeler un chien, tant bien que mal. Pendant que sur scène se multiplient les explosions et la production de caniches difformes, dans le public les uns ricanent joyeusement, tandis que d’autres luttent avec leur raison pour donner un sens à ces évènements décousus. Ils peineront tout au long du spectacle, qui maintiendra jusqu’au bout un jeu d’acteur entièrement fondé sur le principe de l’improvisation. À chaque nouvelle représentation, la partition est construite dans l’instant pour enrichir l’intrigue principale: faire avancer la fabrication du décor.
De micro-histoires s’imbriquent certes dans cette base dramaturgique: un groupe d’adultes qui prépare une grande structure pour une fête d’anniversaire. En attendant, ils discutent en liant des ballons de toute forme: de longs ballons à modeler qu’ils baptisent et classent comme « foufou », « demi-foufou » ou « anti-foufou », et des ronds gonflés à l’hélium afin de faire flotter les autres. S’ils ne gonflent pas des ballons, ils discutent. Ressassent des souvenirs de leur propre enfance: les cadeaux qu’ils avaient reçus, le premier vélo d’un rouge inoubliable, le collier de perles indestructible, le gâteau gigantesque contenant un poney. Parfois ils font bande à part, s’élisent mutuellement « chefs du groupe », se disputent puis se réconcilient.
Le public, lui, reste très partagé, et donne régulièrement son avis. Si les amusés rient à pleines dents, les ennuyés n’hésitent pas à le faire savoir. À plusieurs reprises, un garnement crie son mécontentement. La compagnie intègre ses récriminations sans se laisser faire. Son cruel et fréquent « C’est pas drôle! » devient un refrain dans la bouche des acteurs qui lui adjoignent systématiquement « Et c’est pas grave ». Non, ce n’est pas grave – sauf quand une famille décide de quitter la salle dix minutes avant la fin de la représentation!
Mettant l’accent sur la construction en live d’un espace au détriment de celle d’une intrigue, Zoé Cadotsch et Julien Basler qui dirigent Les Fondateurs ne font pas seulement « des enfants », ils font du contemporain enfantin. Et comme avec le public adulte, ça ne marche pas à tous les coups. Si, à la première, certains ont accueilli avec plaisir l’énergie investie par les acteurs ainsi que les ballons offerts au public à la fin de la pièce, d’autres semblent avoir regretté amèrement qu’on leur ait dérobé une heure précieuse habituellement dédiée aux écrans minuscules des tablettes numériques.