George Dandin et La Jalousie du Barbouillé

George Dandin et La Jalousie du Barbouillé

De Molière / mise en scène Hervé Pierre / par la troupe de la Comédie-Française / Le Reflet / le 20 mars 2016 / Critiques par Deborah Strebel et Amandine Rosset.


20 mars 2016

Les épreuves d’un mari trompé

©Lot

Le dimanche 20 mars 2016, la troupe de la Comédie-Française a un fait une halte au théâtre Le Reflet pour une représentation de George Dandin suivie de La Jalousie du Barbouillé. Dans les deux cas, il était question d’adultère et de mariage arrangé entre deux classes sociales : sur un mode classique et sérieux d’abord, puis plus rapide et déjanté.

Des arbres sont suspendus à l’envers. De subtiles lumières les éclairent, faisant apparaître les ombres de nombreuses branches à l’arrière-scène. Une cabane en bois, de deux étages, dont les parois sont composées de fines lattes espacées, occupe la plus grande partie de la scène. Au rez-de-chaussée se trouve une salle de bain. Un escalier mène au premier étage dans lequel on voit un salon muni d’une table et de quelques chaises. Si l’allure générale de la maison frappe par sa simplicité, les meubles du salon, dont un majestueux morbier, évoquent les intérieurs bourgeois. Cette demeure hétéroclite reflète à merveille la condition de George Dandin, riche paysan ayant épousé Angélique de Sottenville, fille d’un gentilhomme ruiné.

C’est donc auprès de son antre que le grand et robuste époux commence à se plaindre de son mariage qu’il regrette amèrement. Chemise froissée, longue barbe rousse, son allure quelque peu négligée le distingue déjà de la robe corsetée blanche de son épouse. Il soupçonne sa femme de le tromper et tente à plusieurs reprises de la confondre. Il prévient alors ses beaux-parents dans l’espoir de la prendre en flagrant délit dans les bras de son amant Clitandre. Hélas, ses tentatives échouent. Il ne cesse d’être ridiculisé alors que l’adultère continue de plus belle.

Commande de Louis XIV, George Dandin ou le mari confondu est créé à Versailles en 1668. Jouée une première fois dans le contexte d’un divertissement mondain, enchâssée dans une pastorale de Lully, dans le théâtre de verdure du Petit parc, cette pièce se présente alors comme une pure comédie aux relents farcesques. Une deuxième représentation a lieu par la suite à Paris, au Théâtre du Palais-Royal, le 9 novembre de la même année. Sortie de son contexte initial, la pièce ne remporte pas le même succès. Sans pastorale en ouverture, les trois actes deviennent plus âpres. Et c’est sans doute cette double potentialité de la pièce qui explique que les mises en scènes qui en sont faites varient tant aujourd’hui encore. Alors que certaines accentuent plus volontiers la farce, d’autres en soulignent l’aspect tragique. Celle qu’a choisie Hervé Pierre se situe entre ces deux pôles.

Malgré la cruauté des amants envers le mari bafoué, le metteur en scène injecte de belles notes d’humour, comme ce moment où Colin, le valet âgé de Dandin, se tient le dos car il a mal d’avoir trop dansé.. Loin d’être de simples pauses récréatives, les ballets qui ponctuent la pièce servent de métaphores à l’intrigue. Les amoureux se font ainsi des courbettes en musique sous le nez de l’époux immobile et impuissant. Le metteur en scène a également pris le parti d’inscrire l’action de George Dandin autour de 1850. Et cela fonctionne parfaitement. Au XIXe siècle, la société est également en pleine mutation. L’ordre social des bourgeois est en train de s’effriter. La collusion des classes présente dans le texte de Molière est donc aussi au cœur des préoccupations de cette époque, sous Napoléon III.

Après avoir régalé le public par une interprétation vive et bien rythmée de George Dandin, la troupe de la Comédie-Française enchaîne aussitôt avec une représentation de La Jalousie du Barbouillé. Sorte de première ébauche, cette pièce présente la même histoire d’un mari trompé. Mais là où la troupe excelle, c’est dans le jeu plein d’entrain tirant vers la caricature. Les comédiens descendent dans le public, remontent sur scène et n’hésitent pas à faire allusion à l’actualité veveysanne en évoquant le décompte des bulletins de votes en ce dimanche de deuxième tour d’élection communale. Hormis un jeu de mot un peu facile (« vevey lui courir après »), tout fonctionne dans cette deuxième partie, drôle, énergique et décoiffante.

Après avoir commencé dans un esprit fort classique, la soirée se termine ainsi en apothéose par un feu d’artifice de folie et d’inventivité.

20 mars 2016


20 mars 2016

Deux faces de la farce

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La Comédie Française était de passage à Vevey pour une représentation exceptionnelle. Les huit comédiens sont passés de l’histoire de George Dandin, dans une mise en scène classique, à celle de son double grotesque le Barbouillé, sur un mode beaucoup plus libre, où les interprètes ont pu jouer avec le public et même intégrer de l’actualité veveysanne toute fraîche.

Les spectateurs ont eu droit à une double dose de Molière dimanche dernier, en commençant par le fameux George Dandin monté dans un décor sobre, fait de bois et d’arbustes. A l’étage de la petite maison qui est au centre de la scène, on voit des meubles qui donnent l’idée d’une petite bourgeoisie de province. Deux camps sont bien définis sur le plan spatial : en bas, Dandin, un paysan à l’allure négligée ; en haut sa femme Angélique de Sottenville, fille d’un gentilhomme ruiné, lisant dans le salon avec sa servante Claudine. Dès les premières répliques, la situation est posée. Dandin se plaint de son mariage qui ne lui a rien apporté d’autre que le titre de Monsieur de la Dandinière ; grâce à la maladresse de Lubin, il apprend que sa femme se laisse aller à quelques légèretés avec Clitandre. Tout au long de la pièce, le paysan veut prouver la tromperie de son épouse à ses beaux-parents, mais il sera confronté aux ruses d’Angélique et de Claudine.

On rit devant cette comédie-ballet, mais ce n’est pas le côté comique de la pièce que la mise en scène met le plus en avant. Jouant avec la luminosité et avec les ombres qui se dessinent sur le mur du fond, elle privilégie une ambiance de tension et de secret. Le parti pris par le metteur en scène est de mettre l’accent sur le drame que vit George Dandin afin de mieux montrer le grotesque de l’histoire. Les moments de farce sont ici des parenthèses de répit au milieu des malheurs, et on retient surtout la tristesse du paysan.

A la fin de cette courte pièce de trois actes, changement d’ambiance. Un tréteau est monté et soudain commence une autre farce de Molière, La Jalousie du Barbouillé. Cette fois, le rire est bien au cœur de la pièce. Les costumes, les voix, les accents, les gestes, tout est exagéré pour le plus grand plaisir du public qui assiste presque à une parodie de l’histoire qui lui a été représentée auparavant. Les acteurs se permettent des libertés en piquant le sac d’une spectatrice, en en faisant monter une autre sur scène, en ajoutant des jeux de mots spécialement destinés au public veveysan (on se rappellera du « Vevey la chercher » lancé par Jérôme Pouly dans la peau du Barbouillé), ou en nommant des candidats du deuxième tour des élections communales locales.

Une soirée entre deux visions de la farce, entre drame et comédie, qui a su montrer, au cas où il fallait encore le prouver, l’intemporalité des textes de Molière.

20 mars 2016


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