NEONS, never ever, Oh ! Noisy Shadows & Vacuum
Concept, chorégraphie, texte de Philippe Saire / par la Compagnie Philippe Saire / TLH / le 30 janvier 2016 / Critique par Justine Favre.
30 janvier 2016
Par Justine Favre
Des images en mouvement
Deux hommes sur scène, pour deux pièces dansées, toutes deux conceptualisées et chorégraphiées par Philippe Saire. C’est ce que proposait le Théâtre des Halles ce 30 janvier 2016. L’équipe de Vacuum (2015) et NEONS never ever, Oh ! Noisy Shadows (2014), en tournée dans toute la Suisse et bientôt de passage à Paris, a bien fait de s’arrêter dans la petite ville valaisanne. Elle y réussit un hommage explicite aux arts plastiques, et rappelle que le visuel est histoire de lumière.
NEONS, never ever, Oh ! Noisy Shadows
NEONS never ever, Oh ! Noisy Shadows est le deuxième volet d’une série nommée Dispositifs, créée entre 2011 et 2015 par Philippe Saire, figure importante de la danse contemporaine en Suisse. Précédant Vacuum, jouée plus tard dans la soirée, et suivant Black Out, qui ne faisait pas partie de la programmation du TLH, le triptyque se pense comme une expérimentation sur le mouvement et la lumière, et mobilise, comme son nom l’indique, divers dispositifs qui font le lien avec les arts visuels.
Relativement courte – à peine quarante minutes, NEONS… présente un couple en pleine séparation. Tantôt en sous-vêtements, tantôt vêtus de manière ordinaire, ils dansent, bougent, se manipulent l’un l’autre. La danse contemporaine se prête généralement bien à l’exploitation et l’exploration des jeux de pouvoirs au sein des relations interpersonnelles, et NEONS… y parvient grâce à la chorégraphie tout à fait maîtrisée et la tension palpable des corps des danseurs. Leurs mouvements, dans la seule lumière des néons, qu’ils orientent eux-mêmes, exhalent parfaitement la colère amoureuse et la difficulté du vivre ensemble. Les gestes suffisent à dégager l’affect, et le spectateur aurait pu se passer tout à fait du verbal.
C’est peut-être d’ailleurs la seule faiblesse de cette première pièce. Car si elle est effectivement sans parole, elle n’est pas pour autant dénuée de mots. Ceux-ci défilent au moyen de trois journaux lumineux, ces agencements publicitaires permettant de faire passer des messages grâce à des pointillés rouges. Le public obtient ainsi, de manière un peu artificielle, la confirmation de ce qui se passe sur scène, grâce à ces mots censés exprimer les émotions des deux personnages : « Je ne veux pas être un salaud », « De petits effondrements », « On va continuer OK ».
En plus d’être superflu, ce procédé fait dévier le spectateur de l’aspect le plus important de la chorégraphie. La seule présence lumineuse, celle des néons, en effet, concentre le travail sur scène à ces trois éléments essentiels : clarté, ténèbres, mouvement. Les corps sont ici des masses grises au grain grossier, prises entre deux faisceaux, créant des formes abstraites d’une grande force lyrique. Techniquement, c’est au cinéma que fait penser NEONS…, puisque les néons viennent imprimer sur les corps des danseurs une image en mouvement, à la manière de la lumière sur la pellicule.
Vacuum
Vacuum, pièce plus brève encore (vingt-cinq minutes), pousse plus loin ce concept et confirme la volonté du chorégraphe de dépasser le cadre de l’art vivant et rend particulièrement hommage au visuel. Ici encore il est question de deux corps exposés par des néons. Mais l’ensemble, purement lyrique et dénué de narration, amène le public à se focaliser uniquement sur les mouvements des corps, sur la saillie d’un muscle, la figure abstraite créée par l’exposition du bas d’un dos.
Le spectateur est ramené plus fortement encore que dans NEONS… au travail cinématographique, ce dernier étant emprunté à la prise de vue photographique. Certes, le modelage de la plastique masculine rappelle les peintres maniéristes, et l’exposition surréaliste des corps fait penser à certaines figures de Dali. Pourtant, il s’agit bien ici d’une mise en scène du développement photographique. Lorsque les corps sortent progressivement des ténèbres et se révèlent à l’œil, le plaisir des spectateurs est analogue à celui du photographe dans sa chambre noire. Quant au rendu visuel il donne la même impression que celle obtenue par la photographie argentique, de la grande netteté à un flou vacillant. Soutenu par la musique de Purcell, ce dernier duo est un petit bijou de danse abstraite. Parvenant à débarrasser les corps de leur enveloppe clinique et organique via l’utilisation magistrale du néon, Philippe Saire réussit le pari d’Icare : aller dans la lumière sans se brûler les ailes.
30 janvier 2016
Par Justine Favre