Par Marie Reymond
Le Conte d’hiver / de William Shakespeare / mise en scène Frédéric Polier / Théâtre du Grütli / du 26 janvier au 14 février 2016 / plus d’infos
Ce qu’il y a de surprenant avec Shakespeare, c’est que malgré les siècles qui nous séparent de son époque et le nombre incalculable de représentations auxquelles ses pièces ont donné lieu, on ne se lasse pas de voir et revoir ses oeuvres. Ce Conte d’hiver en particulier est une invitation au partage de l’expérience humaine universelle. Cela commence avec les instruments. La musique, véritable langage universel, invite le spectateur à se plonger entièrement dans les événements. Les accents de violon et de violoncelle accompagnent les instants de fête comme les moments de tragédie, les retrouvailles comme la mort, de l’ouverture jusqu’au Printemps de Vivaldi qui conclut le conte.
Un grand miroir arrondi, monté comme une planisphère, nous permet de franchir à la fois les frontières, le temps et l’espace et de rejoindre les personnages dans leurs drames. Que le Temps lui-même fasse tournoyer le miroir et il transcende les années : seize ans filent en un entracte. L’espace même et ses limites sont dépassés et il semble que rien ne sépare le public de l’action. Ainsi Léontes, atteint par le démon d’Othello, regarde dans le miroir et pense se découvrir une paire de cornes : il retourne le miroir qui fait alors face au public et nous assure qu’il n’est certainement pas le seul de l’assemblée à souffrir du même sort. La mise en scène nous propose de flouter les frontières entre le théâtre et le public, l’art et la vie.
C’est cette frontière que le public est constamment appelé à remettre en question. Ainsi le clown n’hésite pas à prendre le public à témoin, lui adressant pléthore de clins d’œil complices. C’est dans l’avant-dernière scène que l’immédiateté de l’expérience est à son comble. Trois rhétoriciens modernes de plateaux de télévision surgissent sur scène dans leurs costumes, écharpes et lunettes assorties comprises, afin de décortiquer l’actualité du Conte.
Tragicomédie jusqu’au bout, la pièce se termine non seulement avec le mariage attendu, mais avec la résurrection de l’innocente épouse. Tout est bien qui finit bien, pour le plus grand plaisir du public conquis.