Ai-je bien fait de venir ?

Par Jonathan Hofer

La tragédie comique / de Yves Hunstad et Eve Bonfanti / mise en scène Eve Bonfanti / TKM / du 2 au 7 février 2016 / plus d’infos

©Olivier Garros
©Olivier Garros

La question intervient dès les premières paroles sur le plateau. A la fin du spectacle, tout le monde sait que Yves Hunstad est bien le seul à la poser. Le premier amour de la Fabrique imaginaire entame la trilogie sur le théâtre à Kléber-Méleau. Et si la suite est au goût de l’entrée, c’est un véritable banquet qui s’annonce !

Il est tout seul, ils sont un, il est deux. Ce drôle de mono-duo, un personnage et son acteur, raconte l’histoire atypique d’une ontologie théâtrale. Le personnage, dans les hautes sphères du monde des caractères, ne sait pas qui choisir pour l’écrire et le représenter. Les occasions se présentent tour à tour, mais finir empoisonné par Shakespeare, très peu pour lui ! Fatigué par des siècles d’attente et après que tous ses amis sont descendus sur terre, le personnage s’en remet au grand Hasard qui l’emmènera dans la chambre d’un petit enfant, le fameux auteur-interprète. Dans un monologue tonitruant, cette narration rebondit dans tous les sens, se mélange et se réinvente au fil de la représentation.

Créée en 1989, primée au Canada, déjà traduite dans plusieurs langues, La tragédie comique a fait le tour du monde. Comment parler d’un spectacle représenté des centaines de fois ? Que dire, qui n’ait déjà été dit, sur le spectacle du duo belge ? Rien. A peine les trois coups frappés, Yves Hunstad et son personnage en enchaînent quatre cent. Ils tiennent en haleine toute une salle par un jeu qui traverse comédie, tragédie, clowneries et acrobaties. En échange constant avec le public, c’est un dialogue qui s’instaure. L’acteur n’hésite pas à fixer les spectateurs dans les yeux, à leur parler, quitte à les embarrasser quelque peu. Le texte est subtil : il allie calembours, maximes, digressions gratuites et réflexions intenses. Jamais dans la lourdeur d’un discours trop philosophique, le monologue invite dans un monde imaginaire enfantin. La réalité cède la place aux rêves qui inondent les yeux des plus vieux et des plus jeunes.

Le décor très simple – un rideau, un pupitre et un élément dont, à la demande du personnage, nous ne parlerons pas ici – laisse aussi toute la place à l’imaginaire. Le spectateur voit presque se former sous ses yeux chevaux, lits, chaussures, allant même jusqu’à se salir les mains sur la peinture fraîche. La conception lumière est en interaction constante avec le comédien et le personnage qui ne se lassent pas d’alterner les effets : plein feu, découpe, douche, …

Grâce à ce spectacle, le théâtre lausannois applique à la lettre la formule de Roger Jendly : faire du théâtre comme un enfant qui s’amuse. Respirez, vivez et rêvez avec Yves Hunstad et Eve Bonfanti. On ne peut que vous souhaiter ce bol d’air frais, ce petit bijou, ce …