Par Jonathan Hofer
Les Aventures de Huckleberry Finn – Part one / d’après le roman de Mark Twain / adaptation et mise en scène Yvan Rihs / TPR / du 12 au 15 janvier 2016 / plus d’infos
« AVERTISSEMENT : Quiconque essaiera de trouver un sens à ce récit sera poursuivi ; quiconque essaiera d’y trouver une morale sera banni ; quiconque essaiera d’y trouver une intrigue sera fusillé. Par ordre de l’auteur. » C’est sur cette épigraphe que commence la représentation, un voyage entre le pays de l’enfance et le Mississippi. Préparez-vous à une balade insolite au cœur du célèbre roman de Mark Twain : Les aventures de Huckleberry Finn.
Yvan Rihs signe sa dernière création au théâtre populaire romand (TPR) et c’est sous sa plume que prend forme une adaptation du célèbre roman de Mark Twain, Les aventures de Huckleberry Finn. Le metteur en scène genevois clôt par la même occasion la thématique « Les belles complications », triptyque initié par Anne Bisang, directrice artistique du TPR. Comment ponctuer de meilleure façon ce cheminement théâtral qu’à travers les aventures du jeune Huck’ Finn, vagabond à la recherche d’identité, d’amis, de famille ?
Après Les aventures Tom Sawyer – roman précédent sur les périples de Huckleberry Finn – et la découverte par les deux compères d’un trésor, le jeune Finn est pris sous l’aile de la veuve Douglas et de Miss Watson. Face à un enfant livré à lui-même depuis la naissance, les deux sœurs se retrouvent désarmées lorsqu’elles tentent de « ciliviliser » l’adolescent. Le père de Huck, apprenant que son fils possède une belle fortune, revient alors afin de s’emparer des richesses de son jeune vagabond. Le protagoniste réussit à s’évader des griffes d’un père alcoolique, se laisse dériver sur le fleuve Mississippi après avoir simulé sa propre mort et c’est dans cette fuite, dans cette découverte de la liberté et de soi, qu’il se construit.
C’est bien dans un vagabondage que nous emmène ce spectacle, autant dans sa narration que par sa construction. La structure de la pièce met très bien en exergue cette divagation, digressant volontiers par des intermèdes musicaux, danses, rêveries et autres jeux. Cette « indécision » reflète à merveille les tourments du jeune Huck. Si les aventures de Tom Sawyer abordaient un air léger de chasses au trésor et d’aventures excitantes, son compère fait face au monde des adultes, celui des responsabilités et de la morale. Face à ce monde qui le révulse, Tom Sawyer et sa bande se présentent pour lui comme un exutoire, un retour dans l’enfance et dans le jeu.
Le spectacle promène ainsi le spectateur entre flâneries et narration, mais parfois le perd. Devant la matière très importante du roman de Mark Twain, Yvan Rihs a choisi de décliner son œuvre en deux parties, et la première, présentée actuellement, dure déjà plus de trois heures. Il s’ensuit indéniablement une certaine perte de dynamisme dans la trame centrale et il ne faut pas s’attendre à un voyage en ligne droite, d’un point A à un point B. Entre imagination et réalité, entre légèreté et gravité, la dichotomie répétitive du spectacle peine à accrocher sur trois heures, surtout quand les comédiens adoptent un jeu parfois surfait : on mime une démarche d’enfant, on adopte la façon enfantine de parler plutôt que de vivre un véritable jeu de bambin. Cette lacune vient poser une question centrale dans cette pièce : Tom Sawyer et sa bande peuvent-ils être incarnés par des adultes ? Plus encore, jusqu’à quel point le spectateur ne fait-il pas cas que le rôle d’un homme (Tom Sawyer) soit joué par une femme? Ces éléments pris séparément pourraient passer tout à fait inaperçus. L’addition de tous ces détails amène cependant à une difficulté d’immersion dans un texte et dans une mise en scène qui se veulent immersifs par de fréquentes adresses au spectateur et par une narration constamment à la première personne.
La sortie du théâtre se fait finalement à l’image du spectacle, dans l’indécision. Entre délectation et frustration, Les aventures de Huckleberry Finn se présente comme une merveilleuse déception.