Par Julia Cela
Le Sorelle Macaluso / texte et mise en scène Emma Dante / La Comédie (Genève) / du 26 au 31 janvier 2016 / plus d’infos
Une pièce pour se rappeler, peut-être, la force de l’amour qui soude une famille. Plongé dans une intimité complice, on suit, en voyeur attendri, les souvenirs de sept sœurs : des scènes intimes, de joie franche, de tendresse ou de douleur, tissées sur une trame chorégraphique gracieuse, comme des pas d’ange.
Dans mes souvenirs, il y a, dans toutes les maisons italiennes, une pièce qui ne sert qu’à y entasser les cadeaux de mariage. Tout est soigneusement gardé sous plastique. Il y a toujours trop de vaisselle. Des couverts avec des arabesques sur le manche, des plats en argent, tout ornementés. C’est comme le musée de chaque famille. Il y a des souvenirs qui dorment sous le plastique. C’est dans ces souvenirs que m’a plongée la représentation des Sorelle Macaluso à la Comédie de Genève, sauf qu’à la place des cadeaux de mariage et des objets, il y avait les paroles et les gestes d’une famille.
Emma Dante porte à la scène l’histoire de sept sœurs qui se racontent leur passé. Celui-ci prend dans leur bouche la forme de l’anecdote, de la dispute ou des grands éclats de rire qui ont la tonalité si particulière de la complicité d’une fratrie. Les émotions ont la couleur vive de la verve que l’on réserve aux membres de sa famille. On reconnaît cette colère noire, au poing levé pourtant jamais résolu à s’abattre. Le rire niais et plein face à la moquerie qu’on ne se permet qu’entre nous. L’attendrissement gêné des enfants qui regardent leurs parents toujours transis d’amour.
Spectateurs, nous sommes soudain tolérés dans l’intimité des relations familiales, invités à rire et pleurer avec les Macaluso. On regarde les années par le trou de la serrure. Dedans et dehors à la fois, on reconnaît la chanson familiale, on y rit sans comprendre, mais on y rit avec eux. Le spectacle fait appel à notre compréhension instinctive des mécanismes familiaux, tout en se permettant de ne pas nous donner la clé de certaines anecdotes. On comprend parfois une portion de souvenir en entier, lorsque les sœurs s’emploient à se le rappeler en détail.
Le Sorelle Macaluso est une pièce parcourue d’énergies vitales. « Cetty-Pinuccia-Valeria-Antonella-Katia-Gina-Maria ! » : prénoms qui claquent, doux et forts dans la bouche de la mère. C’est le sud qui parcourt les veines du drame et qui jaillit par instants quand on nous raconte la mer, le soleil, le sable et les disputes. Ce sont des dialogues où tout est violent sans jamais être agressif. On se prend à oublier de lire les surtitres en français pour plonger totalement dans les sons plus chaleureux et plus emportés du palermitain. C’est à la fois la force formidable de sept femmes pleines de vie, malgré les morts sur leur chemin et la puissance d’une langue gorgée de caractère.
Ce sont de douces scènes de danses qui manifestent le départ des membres de la famille qui quittent la vie. Ceux-ci revêtent un habit blanc et rejoignent le fond de scène, pour exécuter, dans le monde des morts, la chorégraphie de leur histoire. Certains s’y enlacent, certains y rient, revivent leur mort ou leurs plus beaux goals. Le regard mélancolique des vivants vêtus de noir se tourne parfois vers eux. Une danse de Maria, l’aînée des sœurs, ouvrira et terminera la pièce comme en fondu. Dernière disparue, elle exécute un ballet d’adieu sous l’acclamation poignante de ses sœurs : « Balla Maria ! Balla, come sei bella ! ». Noir. Avant que la lumière ne se rallume, on distingue les silhouettes vêtues de blanc alignées avec les autres, ensembles, réunies malgré la mort. Sous l’armure des disputes, il y avait tellement d’amour.