Par Deborah Strebel
Citizien Jobs / de Jean-François Peyret / avec Jos Houben / Théâtre de Vidy / du 19 au 29 janvier 2016 / plus d’infos
Jean-François Peyret a voulu disséquer le mythe de Steve Jobs. Pour cela, il a eu recours aux talents comiques et poétiques de Jos Houben. En résulte une pièce où rire et réflexion se mêlent dans une évocation biographique libre d’un feu cyberboss milliardaire.
La scène est vide, seuls quelques points blancs sont inscrits sur le sol. Un homme arrive, tenant un tabouret sous le bras et un dossier rempli de feuilles dans une main. Il souhaite la bienvenue et espère que nous avons bien reçu nos tickets de transports et que nous sommes bien installés dans nos hôtels respectifs. Mais qui sommes-nous ? Des chanteurs ? Des contorsionnistes ? Il semblerait que nous soyons des artistes amenés à participer à un opéra sur Steve Jobs. C’est pourquoi nous sommes assis dans une salle de théâtre face à cet homme, portant une casquette et des lunettes et parlant anglais ou français avec un fort accent américain. C’est l’acteur flamand Jos Houben qui interprète ce metteur en scène enjoué, s’apprêtant à mimer et raconter le spectacle biographique sur le fondateur d’Apple.
Acte par acte, il explique ce qui est censé se passer sur scène. Des danses du clavier jusqu’ aux Iphones et IPads flottant dans les airs et se percutant entre eux, sans oublier la musique, il dévoile les scènes qui ne viendront pas, avec autant d’ardeur qu’un enfant résumerait l’un de ses rêves les plus loufoques. A travers ces descriptions d’un spectacle annoncé, quelques éléments sur la vie de Steve Jobs sont évoqués : ses parents adoptifs (père syrien et mère allemande), ses études, ses lectures, ses expériences hippies. Quelques remarques (de l’ordre du mythe ou de la réalité) au sujet de son caractère, aussi. Il semblerait même que l’entrepreneur de génie fixait ses interlocuteurs sans cligner des paupières. Cette première partie est entraînante. Elle est suivie par une autre, silencieuse. Le metteur en scène si bavard se tait pour installer des éléments de décors : troncs d’arbre et maison blanche. Cabane perdue dans la forêt ou référence à la maison de Jobs, difficile à trancher. Ses contours arrondis, sa couleur blanche uniforme, sa prise USB et les lumières tantôt rouges tantôt vertes qui clignotent, évoquent les différents produits Apple.
Tel un dyptique contrasté, cette pièce si comique au début se mue en une performance poétique invitant à réfléchir sur notre propre rapport à la technologie. Car il s’agit sans doute de cela qu’a voulu traiter Jean-François Peyret. C’est au hasard de quelques clics de souris sur la chaine Youtube de Chris Marker qu’il a été amené à s’intéresser à Jobs. Face à son écran, il a découvert iDead, petit clip réunissant des images consacrées au décès du « révolutionnaire » informaticien. N’étant, a priori pas un apple addict, Jean-François Peyret n’a pas conçu un hommage au Dieu Apple, ni une réelle critique sur ce phénomène mêlant marketing et technologie. Mais il semble être plutôt parti de cette success story pour proposer un joyeux et poétique appel à réfléchir sur nos liens avec ces petites machines intégrées pleinement à notre quotidien. Si beaucoup de spectateurs restent sur leur faim à l’issue du spectacle, déroutés par la deuxième partie sans paroles, d’autres souriront face à leur smartphone lorsqu’ils le rallumeront à la fin de la pièce en se remémorant la formule « nous sommes devenus les outils de nos outils ».