Par Waqas Mirza
On ne badine pas avec l’amour / d’Alfred de Musset / mise en scène Anne Schwaller / TKM / du 1er au 23 décembre 2015 / plus d’infos
La mise en scène d’Anne Schwaler capture parfaitement les aspects comiques de la pièce de Musset. En résultent de nombreuses scènes particulièrement divertissantes. Après l’euphorie d’une première heure hilarante, le rythme s’essouffle pourtant.
« Je connais les femmes, il faut leur jeter de la poudre aux yeux! » s’exclame d’un ton confiant le baron. Le curé, lui, n’a d’yeux que pour d’autres chairs : celles qui recouvrent la table du dîner. Ensemble, ils attendent l’arrivée d’un fils savant et d’une nièce sage ; dix ans les séparent d’une époque où régnait entre eux la plus enfantine des complicités. L’illustre Perdican revient avec un doctorat sous le bras, et l’honorable Camille avec un chapeau de nonne sur la tête. Mais les retrouvailles ne se passent pas comme prévu. La froide religieuse ne tend même pas la main pour qu’on y dépose un amical baiser. Désillusion insoutenable pour le baron, qui projetait de les marier!
Anne Schwaler a opté pour une mise en scène scintillante. Déplaçables sur des roulettes, quatre rideaux en perles métalliques offrent une occasion aux acteurs pour entrer sur scène avec panache. Visuellement spectaculaire, cette production mise sur des costumes éclatants. Le long manteau en velours pourpre du baron, alias Yves Jenny, s’accorde avec la couleur dominante du TKM. Un rouge très cabaret qui revêt les sièges comme le sol, sans oublier le majestueux rideau coulissant exhibé à chaque fin d’acte. Il en va de même pour la robe en crinoline de Dame Pluche (Emmanuelle Ricci), qui laisse presque indécemment deviner ses jambes à travers un noir opaque.
Jean-Luc Borgeat excelle dans son rôle de curé ivre et jaloux d’avoir perdu la meilleure place à table. Sa performance donne fidèlement vie au personnage de Musset, en alliant des grimaces dignes de dessins animés à une maîtrise aberrante de la démarche titubante et du discours décousu. L’acteur s’adonne avec brio aux cocasseries de ce caractère qui ne ratent pas: le public est plié de rire à sa moindre apparition. Notamment lorsqu’il paraît devant Frank Arnaudo qui incarne un gouverneur passablement éméché et voleur de bouteilles.
On aura donc intensément ri au Théâtre Kléber-Méleau, mais tout aussi intenses furent les moments d’ennui dans le dernier tiers du spectacle, quand les deux jeunes protagonistes se livrent furieusement à leurs débats philosophiques sur les relations amoureuses. Le climat est alors marqué d’une tension terrible, directement dictée, il est vrai, par la pièce de Musset. Si l’on prend plaisir à voir dans la première partie des personnages de pouvoir s’employer à des gamineries, l’atmosphère peut devenir lourde quand Perdican et Camille s’engagent dans de longues discussions sur une expérience qu’ils n’ont pas encore. C’est d’autant plus le cas lorsque le spectacle touche à sa fin, marquée par ce parti-pris de mise en scène qui consiste à dire au lieu de montrer, à parler la dernière scène plutôt que de la jouer. On reconnaîtra tout de même que ce choix est aussi intrigant qu’efficace, puisqu’il met bien en évidence le poids de la parole, et plus précisément les effets imprévisibles des stratagèmes manipulatoires. Et les applaudissements finissent par réinstaurer une ambiance festive avec le retour sur scène du baron déprimé, en culotte courte sous son manteau, les cheveux en bataille, « s’abandonnant à sa douleur ».