Par Laura Weber
Je m’appelle Jack / de Sandra Korol / par la Cie Face Public / mise en scène Michel Toman / Le Petit Théâtre / du 28 octobre au 15 novembre 2015 / plus d’infos
Dans Je m’appelle Jack, la « vérité vraie du dedans » d’un individu se détermine grâce à une distinction simple, et cela depuis des temps immémoriaux : une vérité « rose facile » pour les filles, « bleu compliquée » pour les garçons. Et tout semble aller très bien comme ça. Mais que se passera-t-il lorsque l’héroïne de la pièce, Elie, se révoltera contre la couleur de sa vérité, chamboulant ainsi cette catégorisation ancestrale bipartite ?
Je m’appelle Jack termine un cycle entamé par l’auteure Sandra Korol en 2011. Formé de trois pièces et adressé à un public jeune, ce triptyque explore le thème de la différence et la difficulté de s’assumer face à l’autre, mais surtout face à soi-même. Pour conclure cette série, l’auteure se lance dans la délicate exploration de la question du genre et des fragiles étiquettes qu’il impose aux filles et garçons.
Le spectacle se construit comme un conte et évolue dans un univers magique, parfois effrayant, afin d’exposer la problématique de manière détournée et poétique. La mise en scène accentue visuellement ce monde fabuleux à l’aide de projections vidéo sur le fond de la scène et de nombreux effets sonores. Dans cet univers, la perte de la dernière dent de lait indique le passage fondamental de chaque jeune fille et jeune garçon devant « le Grand Miroir de la destinée », qui révèle à chacun la couleur de sa vérité intérieure, rose ou bleue. Dans ce monde aux frontières si bien délimitées, Elie ne parvient pas à trouver sa place ; la contemplation dans le miroir lui révèle une vérité « rose compliquée ». Rose parce qu’elle est née dans un corps de petite fille ; mais Elie ne se reconnait pas dans le reflet que « le Grand Miroir de la destinée » lui tend. Elle sent, au plus profond d’elle-même, une autre vérité, davantage bleutée.
La pièce se développe comme une longue quête introspective, une confrontation incessante aux reflets renvoyés par le miroir. De cette sorte, le spectacle joue avec le dispositif théâtral et agit lui-même comme un miroir en offrant au jeune spectateur l’opportunité de contempler la construction difficile de son identité à l’âge de la préadolescence.
Cependant, Je m’appelle Jack met donc également en garde contre le reflet du miroir, parfois trompeur, et invite à fermer les yeux pour mieux se découvrir. Cette dialectique complexe entre l’intériorité et l’extériorité, l’image de soi-même et celle de l’autre, est constamment évoquée dans les dialogues écrits par Sandra Korol. L’auteure joue avec la langue et produit un texte qui se plait à allier les contraires et à accumuler les métaphores. De ces associations nait un texte riche et dense, qui peut toutefois paraitre alambiqué pour un jeune spectateur. En effet, il se produit un décalage entre les dialogues complexes d’un côté, et la mise en scène et le jeu d’acteur de l’autre, plus adaptés à un public jeune. Si le recours au registre du conte fantastique semble judicieux pour exposer un problème de manière détournée et imagée afin de capter efficacement l’attention d’un jeune spectateur, ce parti-pris se révèle dans Je m’appelle Jack parfois trop abstrait pour délivrer de manière convaincante toute la complexité des investigations entreprises par la pièce. Néanmoins, le jeu habile des comédiens, qui multiplient les exagérations comiques, ainsi que l’univers poétique construit par la pièce sauront séduire le public, qu’il soit jeune ou plus âgé.