Par Sabrina Roh
Werhter! / d’après Les Souffrances du jeune Werther de Johann Wolfgang von Goethe / mise en scène Nicolas Stemann / Théâtre de Vidy / du 19 au 29 novembre 2015 / plus d’infos
Le metteur en scène Nicolas Stemann et le comédien Philippe Hochmair proposent à Vidy une version bilingue de Werther !, spectacle créé en Allemagne en 1997. Voilà presque vingt ans qu’ils donnent à voir leur lecture des Souffrances du jeune Werther de Goethe. Un tour de force dans lequel l’amoureux égocentrique paraît bien plus égocentrique qu’amoureux.
Werther aime Lotte. On lui avait bien dit de prendre garde, de ne pas tomber sous le charme de cette beauté déjà promise à Albert, mais en vain. Il tombe amoureux de Lotte à peine a-t-il posé les yeux sur elle. Au début, l’amour c’est le gazouillis des oiseaux, les doigts qui se frôlent et les bals qui ne prennent fin qu’au petit matin. Mais très vite, tout devient laid. Car aimer c’est aussi jalouser et vouloir posséder.
N’ayant droit qu’à un amour à sens unique, Werther persiste et note la moindre évolution dans son journal. Mais plus le temps passe, plus l’espoir s’amenuise. Très vite, ses écrits prennent la forme d’une complainte qu’il entretient et dans laquelle il s’installe, ma foi, confortablement. Mais ses pensées sont-elles toujours dédiées à Lotte ? N’est-ce pas un amour pour sa souffrance que Werther a fini par développer ? Car sur scène, le buste qui représente sa bien-aimée a des traits bien impersonnels.
Assis à la table trônant au centre de l’espace scénique, le Werther des temps modernes, tantôt en militaire, tantôt en cowboy des grands espaces, incarne LA virilité, l’homme sûr de lui. Puis, en lisant le passage qui relate sa première rencontre avec Lotte, il devient plus solennel, se transformant en conférencier propret. Et c’est le début de la fin : 28 août, 29 août, 30 août, 31 août, 32 août… Les jours passent et les lectures du texte de Goethe se font plus rares, faisant place à des moments proches de la performance, durant lesquels Werther laisse échapper sa joie et sa souffrance. Euphorique, il se met torse nu et s’affuble d’une couronne de feuilles d’or. Se prenant pour l’empereur de l’amour, il saute sur la table, cherchant des gestes à la hauteur de son effervescence. L’amour rend fou ? Oui, mais ce n’est un secret pour personne.
Werther aime Lotte, certes, mais il aime encore plus le fait d’aimer Lotte. Et c’est en dressant le portrait de cet égocentrique que la mise en scène de Philippe Hochmair réalise un réel exploit. Tout au long de sa descente aux enfers, Werther manipule une caméra, qu’il pointe très souvent sur lui, son image se reflétant sur un grand écran accroché au fond de la scène. Dans les moments où la raison semble quitter le héros romantique, ce dernier garde en fait un réel contrôle sur ses actions. Il jouera ainsi une dizaine de fois la réplique « L’âme qui sait aimer », avec des intentions différentes. Simultanément, il enchaîne les arrêts sur image, créant des autoportraits (pour ne pas dire selfies). Enfin, le résultat satisfait Werther, qui jette son dévolu sur une photo où il arbore un air mélancolique. Le torse nu et la couronne de feuilles font finalement de lui, non plus un empereur, mais un martyre.
« Albert va venir et moi je dois partir ». Oui Werther, va-t’en. Tu as tenté ta chance. Essayé pas pu comme on dit chez nous. « Oui, oui. Merci Lausanne ». Il sort. Le public applaudit. Mais il revient. Juste pour ajouter quelque chose. Et il revient. Encore, et encore, et encore. Et le public applaudit, toujours. Werther, un homme amoureux de sa souffrance.