Intrigue et amour
De Friedrich Schiller / mise en scène Yves Beaunesne / TPR (La Chaux-de-Fond) / 14 novembre 2015 / en tournée jusqu’en mars 2016 / Critiques par Laura Weber et Léa Giotto.
14 novembre 2015
Par Laura Weber
Schiller rajeuni
Figure de proue du romantisme allemand, Friedrich von Schiller écrivait en 1784 Intrigue et amour, pièce subversive à l’encontre de l’ordre social et du pouvoir tyrannique. Aujourd’hui, malgré les décennies qui nous séparent de cette période, le cri révolutionnaire de Schiller n’a pas perdu de sa vigueur, notamment grâce à sa remarquable mise en scène par Yves Beaunesne.
Ferdinand, fils du puissant et corrompu Comte Président Von Walter, s’éprend d’une jeune fille, Louise Miller, issue d’une classe plus modeste. Aussi pur et sublime que soit leur amour, il sera pourtant mis en péril par le père de Ferdinand, usant des moyens les plus perfides pour séparer les deux amants provenant de deux rangs sociaux différents. Dans ce drame, l’auteur révèle les mécanismes insidieux de la tyrannie et son influence jusque dans la sphère de l’intime. En 1784, un vent de révolte souffle sur l’Europe pour une jeune génération en proie au mal-être. Friedrich von Schiller en cristallise dans Intrigue et amour les enjeux tant politiques que sentimentaux. L’auteur allemand sera, d’ailleurs, nommé « citoyen d’honneur » par l’Assemblée législative française, créée peu après la Révolution.
Néanmoins se pose le problème de l’actualisation d’une telle œuvre. Aussi admirable que soit cette pièce, sa forme ne correspond plus nécessairement au goût du public actuel. Une méfiance envers les stéréotypes des œuvres romantiques s’est établie au gré des décennies et l’on redoute parfois de la part de ce courant une effusion de sentiments trop prononcée, un accent excessif mis sur le pathétique. Pourtant, Yves Beaunesne parvient à contourner ce problème grâce à une habile réécriture résolument « moderne ». Les dialogues sont revisités par le metteur en scène et la traductrice Marion Bernède ; de nombreuses répliques en langage courant sont insérées afin de désamorcer le pathétique et d’apporter plus de légèreté et de comique dans cette pièce dramatique. Ce dispositif se révèle d’une grande efficacité, sans pour autant entraver au propos principal de la pièce.
Un autre décalage s’opère entre la pièce et sa mise en scène ; lors de la représentation, tout le dispositif théâtral est perceptible par le spectateur. La métathéâtralité est particulièrement investie : les coulisses sont visibles depuis les gradins et on peut y apercevoir les acteurs déambuler avant leurs entrées en scène, les spots lumineux sont ajustés entre chaque acte sous les yeux du public, tout comme les changements de costume. En outre, sur la droite de la scène se trouvent plusieurs rangs de pantins articulés qui invitent sans doute le spectateur à s’interroger sur le dispositif de mise en abyme du jeu théâtral. De cette sorte, une prise de distance est visuellement installée avec le drame joué au même moment.
Un décalage entre l’œuvre romantique du XVIIIe siècle et son adaptation moderne qui donne une nouvelle force à Intrigue et Amour.
14 novembre 2015
Par Laura Weber
14 novembre 2015
Par Léa Giotto
Mise à jour
Remettre au goût du jour une œuvre phare du romantisme révolutionnaire allemand, voici le projet ambitieux de Yves Beausnesne. Mais la question se pose : est-il possible, en 2015, de faire résonner des questions de 1784 ?
Se révolter contre un système qu’il jugeait corrompu et obscurantiste au travers d’une histoire d’amour impossible. Voici l’idée que le jeune Schiller, alors âgé de 25 ans, cherchait à exploiter en 1784 avec la représentation d’un double aveuglement : celui de l’ordre social comme celui de l’amour. Retravailler ce projet en 2015, c’est pour Yves Beaunesne, metteur en scène, poser une question qui semble éternellement actuelle : « à quel moment un être décide-t-il de ne plus obéir ? » – et se concentrer sur la tyrannie sociale, qui « n’est pas seulement publique, mais aussi intime ».
Louise, fille d’un modeste précepteur de musique à la cour, entretient une relation passionnée avec Ferdinand, fils du très puissant Président Von Walter, et donc bien au-dessus de sa condition. Malgré l’opposition de son père, Ferdinand est prêt à abandonner sa condition au nom de son amour. Le Président fait alors appel à ses ressources les plus retorses. Ainsi Ferdinand se verra-t-il fiancé à la favorite du Duc, et Louise contrainte d’écrire une fausse lettre. L’intrigue se noue, enserrant leur amour sous des manigances tortueuses. La question éternelle du romantisme se pose dans toute sa puissance : qui, de l’amour ou des obligations, triomphera ?
En 1784, cette pièce se pose comme un véritable pamphlet contre l’absolutisme et Schiller apparait comme un précurseur du romantisme allemand. En truffant sa pièce de critiques contre le système des duchés, dépeint comme corrompu et manipulateur, Schiller en fait une arme politique. Il use ainsi de l’histoire des amours et de la révolte de la jeunesse pour mettre en scène la lutte pour la liberté. La double perspective qui illustre à la fois la lutte des classes et la lutte familiale, voire la lutte intérieure, donne à Schiller une inscription à part dans l’histoire de la dramaturgie allemande, car il double son projet esthétique d’une dimension sociale et politique.
À travers une mise en scène extravagante et dans un décor jouant sur le méta-spectacle, avec notamment la présence de matériaux de construction et des acteurs qui déplacent eux-mêmes les objets du décor, la représentation oscille entre un drame historique et une atmosphère loufoque. Si l’équilibrisme entre les deux vacille parfois un peu trop et que le spectateur ne sait plus quel camp choisir, il faut reconnaître que le jeu des acteurs atténue ces quelques déséquilibres.
Le projet d’actualiser une pièce qui est en résonnance complète avec son époque peut sembler hardi et pour le moins intrigant. « Allier héritage et modernité », voici le projet de cette interprétation du drame de Schiller par Yves Beausnesne. Sortir une œuvre historique de son cadre de production semble délicat, mais la richesse de celle-ci semble être sa permanence, ou sa constante actualisation de par l’immortalité des sujets touchés. Car si Schiller brandissait ses textes en étendard politique, les questions qu’il pose ne sont pas seulement d’ordre social, mais paraissent relatives à la nature humaine. En effet, quand cupidité, mensonge et tromperie ne seront-ils plus d’actualité ?
14 novembre 2015
Par Léa Giotto