Par Camille Logoz
L’Histoire du soldat / de Charles-Ferdinand Ramuz / musique d’Igor Stravinsky / par le Teatro Malandro / mise en scène Omar Porras / Théâtre Le Reflet (Vevey) / du 7 au 8 novembre 2015 / plus d’infos
Omar Porras et sa troupe Teatro Malandro reprennent à leur sauce L’Histoire du soldat de C.-F. Ramuz et Igor Stravinski, en l’assaisonnant des éléments qui font depuis toujours le succès de leur théâtre festif et claironnant : masques, mimes et confettis.
Le Diable fait sursauter à chacune de ses entrées, apparaissant dans une explosion sonore, un embrasement et un nuage de fumée. Le décor, fluorescent quand la lumière s’éteint, met à mal l’équilibre des proportions, faisant se confondre plans droits et inclinés. À cela s’ajoutent les ombres chinoises qui prennent le relais des acteurs sur le devant de la scène, contribuant au jeu troublant des échelles de grandeur. Ce dispositif artificier plus qu’artificiel, déroutant si l’on n’est pas familier du Teatro Malandro, annonce un spectacle où en surface, tout est destiné à aller de travers – mais qui pourtant file droit. On retrouve également avec bonheur les masques de Fredy Porras, caractéristiques bien connues de la troupe. Ils sont faits comme les costumes : hauts en couleurs, fantasques, on les dirait récupérés et rapiécés, produisant des personnages aux allures de marionnettes, sans conscience propre et bricolés de toutes pièces.
La pièce, écrite en 1917 et montée par Porras pour la première fois en 2003, raconte l’histoire d’un soldat en permission qui se laisse imprudemment piéger par le Diable. Rejeté par les siens, mais riche à n’en plus pouvoir, il trouve finalement le moyen de le tromper à son tour et épouse la princesse d’un royaume d’où il ne peut sortir sous peine de retomber dans les griffes du Diable. Tenté par l’idée de revoir sa famille, le soldat ne saura résister. Cette histoire est racontée par la figure du Lecteur, presque toujours présente sur scène, qui cède régulièrement la parole aux personnages, voire parfois interagit avec eux.
L’une des particularités de L’Histoire du soldat réside dans la partition contenue au même titre que le texte dans le livret de la pièce. C’est dire que la musique tient un rôle prédominant dans le spectacle, comme le souligne l’adaptation de Porras qui inclut les membres de l’orchestre comme acteurs le temps d’une scène. La musicalité est également très présente dans le flux des comédiens, qui scandent leurs répliques de façon très rythmée, imitant presque la diction des voix d’un dessin animé. Cette langue très théâtrale accompagne le jeu saccadé et pantomime des acteurs, qui renvoient l’image de pantins dansant sur commande. Mais qui tire sur les fils ? La musique imposant le rythme, le Diable toujours présent en filigrane, ou… le Lecteur ?
Car s’il s’agit déjà d’une figure particulière dans le texte de Ramuz, pas tout à fait personnage et pourtant interne au texte, Omar Porras exacerbe son statut d’embrayeur de la narration : le Lecteur, par qui la parole circule, se pose en maître de l’histoire en cours, tout en en étant partie prenante. Incarné par Philippe Gouin, il ne cache pas le contrôle qu’il exerce sur l’histoire en déroulement, paraissant pressé de la terminer, montrant de l’agacement lorsqu’il répète un refrain (« Entre Denges et Denezy… Un soldat rentre chez lui… A marché, a beaucoup marché ! »), ôtant les mots de la bouche des personnages, leur donnant même les clés de l’intrigue lorsqu’il s’agit de la sortir d’une impasse. Une figure qui fait donc marcher au pas spectateurs et personnages, dans un simulacre de parade militaire au son de l’ensemble Contrechamps. Ce qui livre un spectacle carnavalesque, hanté par la présence farcesque du Diable mais adouci par la naïveté touchante du soldat.