Par Deborah Strebel
D’acier / de Silvia Avallone / mise en scène par Robert Sandoz / Théâtre du Loup / du 6 au 18 octobre 2015 / plus d’infos
Adapté du premier roman de Silvia Avallone, D’acier dresse, avec une beauté saisissante, le portrait d’une jeunesse italienne tiraillée entre ses désirs et ses désillusions.
Née en 1984, Silvia Avallone a passé une partie de son adolescence à Piombino, ville industrielle toscane. C’est aussi le lieu dans lequel se déroule le récit de son premier roman, D’acier. Paru en 2010, cet ouvrage lui a valu des prix en Italie et en France. Après une adaptation cinématographique, très remarquée, par Stefano Mordini, Robert Sandoz en propose une transposition théâtrale. Séduit par ce texte qui donne la parole à la jeunesse, le metteur en scène suisse s’est directement tourné vers de jeunes comédiens et comédiennes, par peur de pervertir ce qui lui paraît être un « roman d’une génération ». Ainsi, dès les premiers instants, le spectacle est porté par la ferveur de ces comédiens prétrentenaires.
Deux demoiselles déboulent sur scène en courant et riant. Vêtues de bikinis, elles se dirigent vers une plage. D’autres personnes se prélassent déjà au soleil, la main dans la glacière ou étendues sur des chaises blanches en plastique. Une ombre se profile au tableau. Un homme épie les corps des deux baigneuses candides et souffle des commentaires salaces dans un micro. Ces remarques, frisant la vulgarité, viennent briser ce cadre idyllique. Puis d’autres éléments viennent obscurcir le tableau, faisant comprendre qu’il ne s’agit pas d’une de ces belles plages touristiques, mais d’un bord de mer marécageux avec comme arrière-fond des barres d’immeubles et une aciérie.
Cette gigantesque fabrique est le moteur de la ville. La plupart des hommes y travaillent durement jour et nuit. Absorbés par cette fournaise, et recrachés par ce monstre sans pitié après de longues heures de labeur, ils parviennent à se changer les idées à l’aide d’un rail de cocaïne ou du petit coup de fouet donné par une dose d’ecstasy. Au cœur de la cité et de la vie de ses habitants, la présence de cette monumentale aciérie est suggérée sur la scène par un imposant échafaudage métallique. Cette structure accueille également de grandes lettres ; non pas celles de l’enseigne de la firme, mais celles du nom de l’île enchanteresse se situant de l’autre côté de la mer, juste en face : ELBA. Ce dispositif parvient brillamment à évoquer les deux polarités entre lesquelles les personnages sont cantonnés : d’un côté l’usine, de l’autre l’île ; d’un côté l’enfer, de l’autre le paradis.
Les deux principales protagonistes, Anna et Francesca, du haut de leurs presque quatorze ans, sont ballotées d’un pôle à l’autre. Si la première est attirée par les études alors que la deuxième préfère la télévision berlusconienne, ensemble elles rêvent de nager en direction de cette oasis avoisinante. Leur songe commun tend à s’éloigner quand la réalité les rattrape : qu’elle se rattache à l’absence paternelle ou à l’ignoble maltraitance d’un père.
Loin de n’être qu’une écrasante chronique sociale, la pièce est parsemée de touches poétiques. Le public s’attache très vite aux personnages. Ces derniers, un peu perdus entre le désir de partir et celui de rester, n’ont que l’amitié et la fratrie comme bouclier face à un futur incertain et peu réjouissant.