Sound of Music
Sound of Music / Mise en scène Yan Duyvendak / Théâtre de Vidy / du 27 au 31 octobre 2015 / Critiques par Luc Siegenthaler et Jonathan Hofer.
27 octobre 2015
Par Luc Siegenthaler
All right, good night ?
Des danseurs vêtus pour la plupart de costumes brillants exécutent des chorégraphies sur scène. Ils chantent en souriant le leitmotiv du spectacle « All right, good night ». Le spectacle passé, le spectateur est-il vraiment apaisé ?
Dans Sound of Music, il est saisi d’un étrange sentiment d’inquiétude. Tout ce qui compose une comédie musicale est bien là : des danseurs jeunes et séduisants, des musiques joyeuses rappelant les plus grands airs de Broadway, des chorégraphies souples, légères et chaleureuses. Mais voilà que certains se roulent par terre de façon saccadée, que les mélodies se terminent de manière dissonante, et que les paroles évoquent des questions sérieuses liées au réchauffement climatique, à la surconsommation, au suicide d’employés de grandes compagnies. Malgré le titre, rappelant le film mythique de Robert Wise, le spectacle n’invite donc nullement à une mélodie du bonheur.
C’est précisément entre ces deux extrémités, le divertissement futile et les crises socio-politiques graves que s’articule le projet de Yan Duyvendak. Les événements tragiques contemporains sont mentionnés sur un mode entraînant, attrayant et accrocheur, au point qu’on ne peut guère les prendre au sérieux : « Have you ever thought to shoot yourself? » « War has been declared » chantonnent allègrement les personnages. La tonalité kitch parasite le sens profond du texte rédigé par Christophe Fiat et empêche le spectateur de prendre conscience de ces désastres humains : il n’a plus qu’à demeurer insouciant et se laisser bercer par l’univers enchanteur des chansons et des chorégraphies. On comprend pourtant que derrière ce monde factice se profile une catastrophe imminente : les paillettes dorées présentes sur les habits des acteurs prennent de plus en plus d’ampleur, deviennent de plus en plus brillantes, au point de ravager toute la scène : elles se révèlent aveuglantes. Tout comme les guirlandes dorées déployées en fond de scène qui sont rapidement remplacées par des couvertures de survie encore plus éblouissantes. Tandis que la musique, loin d’être rassurante, se transforme en un bruit assourdissant difficilement supportable. L’image finale semble être celle d’un monde brûlant qui se désintègre et se déchire : peut-être celui qui suivra l’effondrement des écosystèmes en 2100, comme l’annonce un des comédiens au début du spectacle.
Avec Sound of Music, Yan Duyvendak nous propose un spectacle engagé : il dénonce en filigrane les désastres humains auxquels nous sommes sourds et aveugles. Jusqu’à ce que ceux-ci éclatent, contentons-nous, comme ces chanteurs-danseurs, de sourire en reprenant gaiement en cœur : « all right, good night » ?
27 octobre 2015
Par Luc Siegenthaler
27 octobre 2015
Par Jonathan Hofer
Une musique en demi-teinte
Et si nous parlions de la fin ? Celle du spectacle ? Non, la vôtre, la mienne : la fin de l’Homme. Ah non ! pas un mardi soir après huit heure de travail. Et si je vous la chante ? Alors là, ça change tout !
Yan Duyvendak signe, dans sa dernière création, une comédie musicale façon Broadway tout à fait saisissant. Avec l’aide de Christophe Fiat, Olivier Dubois et Andrea Cera – pour le texte, la chorégraphie et la musique – le néerlandais aborde tous les sujets : guerre, climat, propriété intellectuelle, suicide, … Un spectacle engagé éclatant, interprété par de jeunes artistes fringants.
Toute la virtuosité du spectacle se situe dans cette tension : évoquer le drame humain dans une comédie musicale. Une comédie musicale, c’est léger, ça en met plein la vue, ça fait rêver… Alors, quand cette forme se prête au discours engagé, c’est un malaise grandissant qui s’installe chez le spectateur. Faut-il rire ou pleurer ? Les thèmes sont de plus en plus violents alors que la scène scintille – les acteurs changent par petits groupes de vêtements jusqu’à ce que tous soient vêtus d’habits dorés. Même la musique participe de cette tension en cassant inlassablement, dans chaque chanson, toutes les parties mélodieuses. Chacun de ces éléments prépare l’apothéose d’une scène finale à couper le souffle.
A la sortie du théâtre, le soir de la première, deux femmes parlaient du spectacle. Pour l’une, il avait trop duré, alors que l’autre se plaignait d’une expérience trop courte. Mon sentiment les rejoint toutes les deux : après une première partie vécue comme affreusement longue, je sors du théâtre sur ma faim : j’en aurais demandé encore. Car si la gradation dans la performance s’avère remarquable, étrangement, le rythme peine d’abord à accrocher le spectateur. Les premières chorégraphies sont très lentes et la scénographie manque de folie, de cette petite touche de rêve qui fait de la comédie musicale une expérience hors du commun. Le secret du genre, c’est d’entraîner le spectateur. De l’amener sans cesse vers des lieux nouveaux sans jamais lui lâcher la main. Alors pourquoi un début si lent ? Certainement afin d’accentuer la progression, pour mieux laisser éclater la dernière scène. Un dommage collatéral donc, une perte nécessaire. Malgré ce bémol, Sound of Music manifeste une virtuosité dans l’art du double registre et une maîtrise certaine du paroxysme.
Profitez de cette petite mélodie du bonheur : elle ne dure pas, mais Dieu qu’elle est belle.
27 octobre 2015
Par Jonathan Hofer