Home-Made

Home-Made

Mise en scène Magali Tosato / Théâtre de Vidy (Lausanne) / du 22 septembre au 4 octobre 2015 / Critiques par Jonathan Hofer et Elisa Picci .


22 septembre 2015

Un produit du terroir suisse

©Samuel Rubio


« Regardez comme il est mignon ! » ; « N’est-il pas adorable mon fi-fils ? » ; « Le portrait craché de sa maman ! ». Entre traumas de l’enfance et doux souvenirs, le spectacle Home-Made interroge la place de notre passé : comment puis-je me débarrasser du poids de mon éducation pour devenir quelqu’un ?

La jeune Magali Tosato signe sa quatrième mise en scène dans le spectacle Home-Made, actuellement au théâtre de Vidy. Dans ce spectacle – inspiré par le roman Mars de Fritz Zorn – la metteure en scène et sa compagnie, Mikro-kit, questionnent la place de l’éducation dans nos vies. Dans un jeu d’interrogatoires successifs, deux personnages – incarnés par Baptiste Coustenoble et Tomas Gonzalez – transmettent leur vécu face à leurs enfances et à leurs parents. Bien que de prime abord tout semble radieux et sans encombre sur le chemin de ces deux entités, le spectateur se rend vite compte que quelque chose cloche. Est-ce que je peux sortir de ma construction sociale ? Comment me libérer de la petite voix de ma mère, à l’intérieur de ma tête? Comment dire « maman, je t’aime » ?

Si les questions que le spectacle soulève peuvent sembler sombres, le spectacle est en demi-teinte et mélange agréablement quelques traits comiques aux questionnements. De plus, les deux comédiens ne sont pas tout à fait seuls sur scène. Projetés sur un élément du décor au fond du plateau, les interviews de deux mères viennent agrémenter le spectacle et donnent du répondant aux personnages. Ces interventions sont suppléées par une autre forme filmographique : des spectacles d’enfants. Intermèdes comiques, ces images rappelleront sans doute beaucoup de souvenirs aux parents et aux grands enfants.

Le spectacle de la compagnie Mikro-kit mêle ainsi les registres, les rythmes et les supports pour étoffer son discours. Ce discours joue sur deux niveaux différents dans son contenu et dans sa réception. D’une part, il touche par son universalité – chacun ne manquera pas de se reconnaître dans les films et les dialogues – en racontant l’histoire de deux personnages comme singularités. D’autre part, le contenu conceptuel du spectacle pose la question de l’intégration du micro dans le macro : comment puis-je exister comme subjectivité dans un ensemble ?

Si la diversité aide bien souvent à s’accrocher dans un spectacle, elle ne permet cependant pas de développer entièrement la réflexion. Entre universalité des propos tenus sur scène et immersion dans l’histoire des deux personnages, le spectacle ne choisit pas son camp et perd quelque peu son spectateur. Ainsi, il devient difficile de choisir entre l’empathie pour la situation qui se déroule sous nos yeux et un examen de sa propre position face à son enfance. La thématique complexe que le spectacle aborde se trouve alors prise entre deux partis et ne se développe pas au-delà de quelques considérations un peu simplistes. Au final, un spectacle peut-être un peu trop home-made, un peu trop suisse par sa neutralité qui ne permet pas une réflexion identitaire véritablement approfondie.

22 septembre 2015


22 septembre 2015

Soif d’identité

©Samuel Rubio

Avec Home-Made, Magali Tosato offre une remise en question de tous les fondements qui façonnent de manière générale l’être humain. L’enfance, la famille, le cadre social et surtout la mère deviennent soudain de profonds sujets de réflexion. Une mise en scène qui ne laisse pas de marbre et invite à repenser certains concepts fondamentaux.

Cette pièce est inspirée du roman de Fritz Zorn, Mars : le protagoniste, un richissime Zurichois, apprend qu’il est condamné par un cancer en phase terminale. Il repense alors à sa vie et remet totalement en cause son éducation bourgeoise, qu’il rend d’ailleurs responsable de sa maladie. Home-Made propose à son tour un questionnement sur l’éducation, en pointant du doigt la construction de l’identité, qui se veut tout entière conditionnée par le cadre culturel et familial. Que reste-t-il de l’individu au-delà de ces contextes ? Magali Tosato poursuit cette réflexion sans forcément y apporter de réponses précises. À chacun sa façon de ressentir la pièce.

La transparence est un élément qui percute et intrigue le public immédiatement : alors que des gens s’installent encore, les spectateurs déjà assis peuvent observer librement la scénographie. Des tables sous lesquelles on aperçoit des pis de vache et un seau ne manquent pas de titiller l’imagination. Une sorte de grande cabane en verre, habitée de quelques plantes, domine le côté droit de la scène. S’ajoute encore un panneau sur lequel est écrit en gros PARADISE dans le fond de la scène. Un ensemble d’éléments qui n’ont à priori aucun lien les uns avec les autres, mais qui captent efficacement l’attention dès le début. Sans compter les va-et-vient des deux comédiens, Baptiste Coustenoble et Tomas Gonzalez, qui attendent patiemment que la pièce puisse commencer.

Cette scénographie perd ensuite de son intérêt tant le propos, très riche en réflexion, se suffit à lui-même. Le panneau sert toutefois efficacement de support audiovisuel pour des images qui documentent l’enfance des comédiens. À la manière d’une psychanalyse, ceux-ci s’interrogent sur ce qui fonde l’identité d’un homme. Faut-il se débarrasser de son bagage familial pour devenir réellement quelqu’un ? Cette question focalise rapidement le propos autour d’une personne phare dans la vie de chaque individu : la mère. Conditionne-t-elle l’enfant à sa propre vision de la réalité, faisant de lui un homme façonné et non libre d’être vraiment qui il est ? Sommes-nous tous des enfants « faits-maison », créés selon différents concepts établis par notre mère ? Cette pièce finit alors par concerner n’importe quelle personne, âge et sexe confondus.

À noter que le spectateur ne fait pas que réfléchir, mais rit beaucoup également. Les passages où Tomas Gonzalez joue le rôle d’une mère et Baptiste Coustenoble celui d’un enfant sont très drôles, grâce au jeu subtil et non stéréotypé des comédiens. Ils permettent ainsi une mise à distance du propos, pour revenir ensuite à une tonalité plus sérieuse. Le mélange des deux contribue donc à garder le spectateur attentif et enrichit de manière générale le ressenti que le public peut avoir de la pièce. Les émotions se bousculent, tout comme les questionnements qui germent peu à peu dans la tête de chacun.

Une pièce qui nourrit l’esprit, dérange parfois et amuse souvent, à découvrir au théâtre de Vidy à Lausanne jusqu’au 4 octobre 2015 !

22 septembre 2015


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