par Deborah Strebel
Cheer Leader / création du Think Tank Theatre / mise en scène de Karim Bel Kacem / co-mise en scène et chorégraphie Maud Blandel / du 2 au 13 juin 2015 / Théâtre Saint-Gervais / plus d’infos
Spectacle bilingue (espagnol, anglais), Cheer Leader dévoile poétiquement les Pom Pom girls en coulisse.
Dans une semi-obscurité, cinq jeunes femmes vêtues du même costume bleu et blanc sont assises en rond et effectuent une série de mouvements. Toutes tiennent des pompons dans leurs deux mains. En effleurant le sol, ces boules argentées provoquent de doux crépitements à intervalles réguliers tel le bruit des vagues qui s’émousseraient sur une plage. Sans aucun décor, prise en sandwich entre deux fins voiles, à l’avant et à l’arrière scène, cette petite équipe de cheerleading continue de s’échauffer quand l’une des membres prend la parole en espagnol. Au fur et à mesure de son discours, les gestes répétitifs, mélangeant exercices de stretching et chorégraphie, d’abord lents, deviennent de plus en plus rapides. La lumière tamisée et le nombre réduit de danseuses semblent indiquer que nous nous trouvons en coulisses.
Cette impression de backstage sera, d’une certaine manière, le fil rouge du spectacle. Les écrans de tissus transparents resteront présents tout au long de la performance et brouilleront délicatement la vue des spectateurs comme s’ils regardaient par une fenêtre fermée, rideaux tirés. Démarche intéressante et quelque peu à contre-courant, dans une période où le théâtre contemporain tend à abolir le quatrième mur, mais déjà fondamentale dans un projet précédent de Karim Bel Kacem, Gulliver (jouée notamment à Lausanne en mars dernier), qui nous plaçait déjà en position de voyeurs conscients. La plupart du temps, nous assistons ici uniquement à des échauffements. Le seul moment où les majorettes réalisent de vrais numéros avec sauts périlleux a lieu derrière les deux voilages de tulle. Deux hommes, dos au public, regardant le show derrière le premier voilage, au travers du second. Si depuis notre siège, nous voyons clairement les silhouettes masculines, nous ne distinguons pas nettement celles des demoiselles et voyons uniquement des ombres virevoltant en l’air. Le concept de plonger le public dans les coulisses a d’ailleurs été exploité jusqu’au bout car les spectateurs sont en réalité installés à l’arrière-scène de la salle du sous-sol du théâtre de St-Gervais, espace spécialement aménagé pour l’occasion.
Les Cheer Leaders sont connues pour parader au début et pendant les pauses des matchs sportifs américains devant une foule en délire. Ici, pas de footballers, pas de basketteurs, seul les cris sourds des supporters. En entrant dans l’arène, ces sirènes les envoûtent et parviennent à chauffer leur esprit. Ce pouvoir est poétiquement représenté lors d’un magnifique instant où une cheerleader dos au public lève progressivement le bras : plus il prend de la hauteur plus le volume des hurlements augmente ; à l’inverse s’il se baisse, le silence s’installe. Telle une cheffe d’orchestre, elle dirige les acclamations de centaine de personnes, au sens littéral de son appellation (cheer = acclamer et leader = celui qui dirige).
Le cheerleading prend ses racines aux Etats-Unis. Initialement réservé aux hommes et lié à une stricte formation au sein des plus prestigieuses universités, il s’ouvre aux femmes et devient exclusivement une pratique féminine à partir des années 1970. Si dans sa note d’intention le Think thank theatre, en résidence à St-Gervais, s’interroge sur la fonction politique du cheerleading et sur l’évolution de l’exercice du pouvoir, le spectacle lui-même n’entre pas dans une étude approfondie du sujet. Certaines relations de pouvoir sont suggérées notamment lors d’une angoissante séance photo où l’artiste s’acharne à faire sourire une Pom Pom girl stressée, ou à l’inverse lors d’un échange nocturne entre une jeune majorette et un homme qu’elle éblouit de ses étincelants pompons. Mais cela reste de l’ordre de l’évocation, et non du développement. Le visuel, en revanche à été minutieusement travaillé. On saluera le travail de l’éclairage, proposant de riches ambiances tamisées déclinant divers tons : verts, rouges, bleus., Le metteur en scène, Karim Bel Kacem a étudié à la HEAD et a été l’assistant de Dora Garcia à Kassel lors de la Documenta en 2012 : on retrouve la trace des ces enseignements autour de l’installation d’espace dans l’esthétique finement pensée, en laquelle réside la réussite de ce spectacle.