Par Jehanne Denogent
Cheer Leader / création du Think Tank Theatre / mise en scène de Karim Bel Kacem / co-mise en scène et chorégraphie Maud Blandel / du 2 au 13 juin 2015 / Théâtre Saint-Gervais / plus d’infos
Présenté au Théâtre Saint-Gervais, Cheer Leader interroge de manière très plastique une activité aux représentations sexualisées : le cheerleading. La création laisse toutefois une impression évanescente, peinant elle-même à convaincre et à enflammer les foules.
C.? Au fig.
1. Qu’on aperçoit d’une manière fugitive.
Entre le public et le plateau, une toile tendue, blanche. Selon l’éclairage, elle s’opacifie ou blanchit légèrement. Le plateau devient flou et brumeux à travers ce filtre. Assises en cercle, cinq pom-pom girls s’échauffent, enchaînant la même série d’exercices en boucle. Au bout de quelques minutes, la ronde, rythmée du bruissement des pompons, devient envoûtante. L’atmosphère a quelque chose d’irréel, d’évanescent. Derrière la toile (et non dessus), les corps deviennent plastiques et la scène tableau. Cheer Leader compose des scènes esthétiquement très belles, des scènes-tableaux.
Les savoirs affleurent et se croisent en effet dans cette collaboration de deux metteurs en scène en résidence au théâtre de Saint-Gervais. Karim Bel Kacem, après avoir achevé sa formation à la Manufacture, étudia l’installation d’espaces et la sculpture à la HEAD. Quant à Maud Blandel, elle se forma initialement à la danse contemporaine avant d’entreprendre un master de mise en scène à la Manufacture. Dans cette création de plateau, leurs bagages s’associent pour un résultat indéfinissable.
2. Qui a une apparence floue, imprécise / Indéfinissable, insaisissable
Pour une pièce qui se propose d’aborder les dérives superficielles du cheerleading, le travail sur l’esthétique est bienvenu. Le terme « cheer leader » a aujourd’hui une acception sexualisée, désignant l’équipe d’athlétiques et affriolantes jeunes femmes lors des événements sportifs. Il avait cependant une toute autre signification lorsqu’il apparaissait dans le cursus des meilleures universités américaines. Littéralement : celui qui dirige (leader) les acclamations (cheer). Celui qui contrôle et organise les foules était avant tout un homme politique. Roosevelt, Kennedy, Bush : tous ont été des cheerleaders.
La compagnie Think Tank cherche à interroger le phénomène social du cheerleading, à perturber le regard porté sur cette pratique. Le renversement du regard s’exprime déjà spatialement. Pour entrer dans la salle, le public doit contourner le théâtre, utiliser l’entrée des artistes et s’installer dans les coulisses. Le spectacle s’observe dans l’autre sens, renversant l’organisation classique de la salle. Les dispositifs mis en place par Karim Bel Kacem sont inventifs, déstabilisants. Dans Gulliver (en 2014-2015), le spectateur était à l’extérieur de l’espace fermé où évoluaient les acteurs, les écoutant grâce à un casque audio. Par la modification de l’espace, le point de vue du public est remis en jeu. Il faut apprendre à regarder autrement.
B.? P. ext. Qui disparaît peu à peu
L’analyse et les critiques du phénomène du cheerleading restent cependant ici floues, à peine suggérées, à peine saisissables. Le thème appelait à la remise en question sur un ton plus corrosif. Mais le propos est évanescent, disparaissant dans une belle esthétique. Sans mauvais jeu de mots, la pièce ne parvient à provoquer ni acclamations, ni révolte. Certaines idées sont pourtant très prometteuses. Devant l’appareil photo d’un artiste, une des pom-pom girls doit afficher son sourire le plus parfait. A l’aide d’une caméra filmant en direct sur le plateau, l’image étant projetée en arrière-plan, l’artiste prend un nombre incalculable de clichés. Le sourire ne satisfait jamais les attentes de bonheur et d’extase voulues. La scène s’éternise et rend de plus en plus étouffantes la tyrannie et la fausseté de l’artiste. Par l’attente, la tension commence à monter mais n’explose jamais. La scène s’interrompt trop tôt (ou trop tard) et l’énergie retombe. Il manque du relief et de la hargne pour que la pièce marque son but. Du questionnement voulu politique et dérangeant, il ne reste au spectateur qu’une impression de rêve, flottante, disparaissant peu à peu.