par Nicolas Joray
Röstigraben ou Le stage / d’Antoine Jaccoud et Guy Krneta / mise en scène Nicolas Rossier / 24 et 31 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux (épisode 6) / de Noëlle Renaude / mise en scène François Gremaud / du 22 au 31 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
Haute-Autriche / de Franz-Xaver Kroetz / mise en scène Jérome Richer / du 29 au 31 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
En ce dimanche soir, le rideau tombe sur la première édition du Printemps des Compagnies. Cette journée de clôture a vu défiler notamment trois spectacles instituant chacun un rapport aux identités : jouant avec elles, pour le premier ; les multipliant, pour le second ; s’interrogeant sur leur oppression, pour le dernier. Drôle, riche et grinçant.
Le cadre rouge d’une porte est la frontière qui sépare deux mondes : la Romandie de Daisy Golay et la Suisse alémanique de Niklaus Fischer, interprétés respectivement par Geneviève Pasquier et Niklaus Talman. L’histoire est simple et efficace : chaque citoyen suisse, muni d’une charte d’intégration, devra effectuer un stage d’une année de l’autre côté du Röstigraben. Le but ? « Nous comprendre », tonitrue Daisy Golay, véritable moulin à paroles qui se lance éperdument dans une ode à l’altérité. « Sie sprecht schnell », déclare au public un Niklaus Fischer sceptique. Face à ce fragment de Babylone helvétique mis en scène par Nicolas Rossier éclatent les rires. L’écriture, un quatre main bilingue de Antoine Jaccoud et Guy Krneta, est simple et drôle (« Et dans un an, je suis moi-même un Welsch »). Le jeu, volontairement exagéré : aussi naturel en somme que le sont les préjugés donnés en pâture aux spectateurs. Réaliser un spectacle dont le fond de commerce repose sur les identités territoriales (en l’occurrence linguistiques), c’est s’aventurer sur un terrain glissant : on risque à tout moment de renforcer les conceptions simplistes, de figer les préjugés. Faire le pari du rire, c’est peut-être prendre une distance bienvenue par rapport à ces visions. Le mécanisme peut s’exporter. « Étudiant guinéen », « petite Malgache » ou « stagiaire argovien » : même combat. Röstigraven ou Le stage : jouer avec les fables identitaires. Jusqu’à les déjouer ?
Quelques heures plus tard, les quatre comédiennes de Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux mettaient un terme à six épisodes (parmi d’autres) du texte de Noëlle Renaude. À nouveau, les identités multiples de personnages a priori sans histoire (c’est justement le propos !) sont données à voir. À nouveau, le personnage interprété par Stefania Pinnelli est consolé par deux camarades, après avoir accroché aux murs des photos d’individus ayant quitté ce monde « sans fanfare ». À nouveau, une entrée hilarante de Anne-Marie Yerly, au moins autant attendue par ses trois compères qu’inattendue pour le public. Cette fois-ci, la robe rose donne à la comédienne des allures de Princesse Peach, se livrant pour le coup à un numéro de pole dance très sérieux. Les lignes directrices sont à peu près les mêmes, les détails changent. Ma Solange, une série théâtrale qui évite de justesse la routine en même temps qu’elle l’encense.
À dix-sept heures trente, c’est au tour de la Compagnie des Ombres de nous faire découvrir un couple masqué en proie à son identité de classe sociale : Anni et Heinz gagnent peu d’argent et chaque dépense est réfléchie. L’esthétique cohérente de jeu tire du côté de la poupée mécanique : les mouvements sont saccadés, les personnages parfois bloqués. En témoigne une scène de copulation machinale entre les deux individus. Et un jour, c’est le bonheur pour Anni, le drame pour Heinz : la femme est enceinte. Mais le mari ne supporte pas l’idée d’un enfant qui regarde son père sans fierté : il veut d’abord davantage d’argent et un meilleur travail. Avorter ? Les sombres tergiversations du couple se développent au fur et à mesure de la pièce. La noirceur mécanique de la mise en scène fait écho au texte tourmenté de Franz-Xaver Kroetz. Un théâtre alternatif et critique, certes. Mais entre le couple pauvre et le pauvre couple, il n’y a qu’un pas. Le risque étant de proposer un regard quelque peu condescendant sur des individus déshumanisés. Est-ce le but ? Si c’est le cas, on passe à côté de la complexité des êtres humains.
Ainsi, le rideau tombe sur le Théâtre des Osses. Les sentences également. Le public s’est prononcé pour la fraîcheur du projet de la Compagnie Überrunter intitulé Le jour où j’ai tué un chat. Le jury, lui, a tranché en faveur de la forme particulière et de l’inventivité de Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux. Quoi qu’il en soit, ce Printemps des Compagnies a le mérite d’avoir propulsé sur scène un large spectres de spectacles : du divertissant au conceptuel ; de l’expérimental au plus conventionnel ; du grinçant à l’hilarant. Le festival s’offre, pour terminer, quelques derniers pas de danses enjouées lors du bal. Rideau, cette fois.