par Léa Giotto
Comme on choisit sa pizza / par la compagnie Outrebise / mise en scène Maude Lançon / du 2 juin au 14 juin 2015 / Théâtre 2.21 / plus d’infos / en tournée jusqu’au 4 juillet
Une comédienne, un spectateur, une représentation unique. L’équation semble facile. Or elle s’avère relever d’un calcul presque irréalisable.
Entre un spectateur, guidé dans un processus très précis mais qui a tous les choix en mains pour emmener la performance où il le souhaite, et une artiste qui a préparé minutieusement une multitude d’options mais qui ne sait pas sur quelle combinaison elle va tomber, les possibilités de performances sont infinies. Selon une construction précise, la représentation est divisée en deux parties. La comédienne commence par conduire le spectateur à travers toutes les options qu’il a à sa disposition. Puis elle va à son tour choisir comment digérer les éléments qui lui ont été imposés et proposer une représentation unique, à la croisée de l’improvisation, du théâtre, de la chorégraphie et de la performance.
En suivant un processus bien défini, l’artiste guide son unique public qui commence même pas choisir une « méthode de choix ». Puis petit à petit, il a la possibilité de sélectionner presque toutes les composantes d’une représentation qui n’aura lieu que pour lui seul, du costume au son et au choix des thèmes . Le résultat est alors impossible à prévoir , autant pour la comédienne que pour le spectateur. Car, en ouvrant certaines portes, celui-ci en ferme d’autres, une infinité d’autres, près de 8’426’879 pour être précis(selon les calculs de Maude Lançon-création, mise en scène et jeu). C’est cette infinité de possibles que cherche à explorer la compagnie Outrebis qui qualifie la démarche de « choix parmi la profusion ». Le but est ici d’offrir une idée de ce à quoi cela ressemble lorsque l’on cherche à faire entrer en contact deux visions, deux modes de discernements différents pour créer un spectacle.
Pour que les deux mondes se rencontrent, il y a d’abord la langue. Premier critère soumis au choix du spectateur (à disposition : français, anglais, espagnol et langue des signes), si pleine et si vague dans sa précision qu’elle en devient délicate à manier lorsqu’il s’agit de partager une sensibilité qui jusqu’alors n’existe que pour et par nous. La langue joue déjà son propre rôle de cadrage et influence l’orientation du spectacle. C’est cette infinité de possibles que cherche à explorer la compagnie Outrebis qui qualifie la démarche de « choix parmi la profusion ».
Le lieu de la représentation est un espace clos, aménagé d’un fouillis travaillé à l’image de cette profusion que l’on cherche à faire ressentir. Sur les murs, on trouve une multitude de schémas explicatifs de la construction du spectacle, qui apparait comme un tout déconstruit et réaménageable selon notre bon vouloir. De nombreux jeux de lumières et de sons, arrangés en direct ( Thierry Simonot) accentuent encore le vertige de la multiplicité des possibles. Au plafond pendent des sacs d’ « ingrédients » contribuant à cette impression qu’en fin de compte, c’est bel et bien « comme on choisit sa pizza ».
Les risques sont présents tout au long de la représentation : risques dans ce que la comédienne se laisse imposer, risque de faire un flop. Il semble parfois difficile en effet d’offrir un résultat cohérent avec autant de contraintes confrontées à autant de libertés. Cette tension rend d’ailleurs les limites de la représentation parfois difficiles à comprendre et le spectateur peut se retrouver désorienté par le renversement opéré qui le propulse au centre d’une représentation qu’il manie tout en restant à sa place de public. Ce déroutement fait toutefois partie des buts recherchés. Car, au contraire de la pizza, on ne connaît pas ici les ingrédients que l’on choisit : c’est certainement ce risque qui fait l’attrait du projet.