par Chantal Zumwald
Les Particules élémentaires / d’après Michel Houellebecq / mise en scène Julien Gosselin / du 29 avril au 1er mai 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
«Si vous pouviez lécher mon coeur, vous seriez empoisonné» : la formule, issue de Shoah de Claude Lanzmann, a donné son nom au collectif SVPLM dirigé par Julien Gosselin. Il l’a souvent entendue dans la bouche du directeur de l’Ecole professionnelle supérieure d’art dramatique de Lille, dans laquelle il a été formé. Créé en 2009, le collectif monte Gênes 01, récit-choral, de Fausto Paravidino en 2010, et en 2011 Tristesse animal noir, création entre roman et dialogues, d’Anja Hilling. En 2013 il adapte Les Particules élémentaires de Houellebecq. Gosselin est le premier à porter ce texte sur les scènes françaises, alors qu’il le fut souvent en Allemagne.
« Nous vivons aujourd’hui sous un tout nouveau règne » : la voix s’élève de la pénombre d’où émerge la silhouette d’une jeune fille vêtue de blanc, presque fantomatique… : « Et l’entrelacement des circonstances enveloppe nos corps, baigne nos corps, dans un halo de joie ». La voix se casse dans la tristesse. Elle crie, hurle, lutte contre les pleurs ; la musique en live s’amplifie, hurle avec elle, alors que la lumière éclaire bientôt le plateau dépouillé. Sa tirade terminée, elle disparaît. Un homme, un journaliste à l’allure de Houellebecq, prend sa place, placide, allume une cigarette, et commence le récit de la vie de Michel Djerzinski. Sa collègue, sur l’estrade de droite, relate en anglais le bilan de cette vie, alors que le spectateur peut suivre la traduction sur le grand écran plaqué contre la paroi du fond de scène, en alternance avec les images de l’interview en gros plan. Autour de la scène centrale recouverte de véritable gazon sont réparties trois autres scènes en continu, surélevées. Le mobilier est sobre : des sièges de halle d’aéroport, des tables rectilignes, un canapé, un piano, une batterie, des guitares ça et là, des lampes et des projecteurs, accompagnés de matériel électronique et de caméras.
Le spectateur accompagne Michel et son frère Bruno, d’avant leur naissance à la fin d’une génération, du monde hippie beatnik psychédélique de leurs parents aux cabosses et aventures sexuelles non ordinaires, typiques des années soixante, vers ce monde scientifique, aussi, qui soigne l’homme avec ses pilules colorées et lui fait oublier son cœur. L’Histoire s’est inscrite dans l’homme, Houellebecq la retrace et crée des liens avec aujourd’hui, proposant à l’homme d’en tirer les conséquences pour son avenir. Le spectateur est emmené, 3h40 durant, dans un extraordinaire ballet sonore créé par les comédiens eux-mêmes, en direct, dans un jeu de sons et lumières digne d’une scène de festival. Magnifique !