par Deborah Strebel
Les Particules élémentaires / d’après Michel Houellebecq / mise en scène Julien Gosselin / du 29 avril au 1er mai 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
Créée en 2013, Les Particules élémentaires est la première adaptation théâtrale française du deuxième roman de Michel Houellebecq paru en 1998. A moins de trente ans, le metteur en scène Julien Gosselin a pris le pari fou de s’attaquer à l’un des plus sulfureux et talentueux écrivains encore en vie. Cette réjouissante et scrupuleuse transposition enthousiasme le public de Vidy.
Dans une obscurité complète, une voix féminine, tremblante d’émotions, ouvre le spectacle. Un discret halo de lumière vient progressivement entourer la jeune femme, telle une petite particule qui serait observée à l’aide d’un microscope. Simultanément, une odeur de terre envahit le théâtre. Elle s’échappe du tapis de gazon revêtant la scène. Autour de ce rectangle végétal sont disposés des gradins sur lesquels siègent des personnes confortablement assises sur des chaises et fauteuils. Parmi elles, Michel Houellebecq, incarné par Denis Eyriey. La ressemblance avec l’authentique est saisissante : même coupe de cheveux, même posture assise avec le dos voûté, la tête bien enfoncée entre les épaules et surtout même gestuelle immédiatement reconnaissable, caractérisée par cette manière si particulière de fumer en coinçant la cigarette entre le majeur et l’annulaire.
L’auteur subversif – ou du moins son avatar – prend ainsi la parole au seuil et à la fin de la pièce, récitant fidèlement le prologue et l’épilogue du roman, en prenant soin de remplacer le terme « livre » par celui de « pièce de théâtre ». Pour cette adaptation, Julien Gosselin a choisi de rester proche du texte original et de respecter la structure tripartite du roman : « Le Royaume perdu », « Les moments étranges », « Illimité émotionnel». L’accent porte sur les deux demi-frères, Michel Djerzinski et Bruno Clément, l’un biologiste prometteur et l’autre obnubilé par la sexualité. Chacun leur tour, qu’ils soient seuls, ensemble ou accompagnés, ils descendent les marches pour se placer au centre et raconter leur propre histoire face au public et sous les yeux de leur « créateur », car le personnage de Michel Houellebecq ne quitte pas le plateau, gardant toujours à l’œil ses protagonistes.
A vrai dire, la quasi totalité de la troupe, composée de dix acteurs, demeure en scène durant les 3h45 de spectacle. Quand ils ne jouent pas, les talentueux comédiens s’installent dans les canapés de côté et s’emparent parfois d’une guitare. Le jeune metteur en scène français a effectivement privilégié une musique live. Omniprésente, elle accompagne les répliques à l’aide de doux riffs ou elle souligne des phrases clés par de courts et tonnants jingles. En plus d’être mis en évidence par des sons, ces termes importants sont projetés sur un grand écran qui accueille également quelques vidéos réalisées en direct. Julien Gosselin emploie divers moyens multimédias pour appuyer certains passages du roman, afin d’accompagner cette écriture « impure, totale et polyphonique ».
Pour Julien Gosselin, le style houellebecquien comporte une grande puissance poétique et appelle donc à être transposé au théâtre. Après les deux premiers projets du collectif « Si vous pouviez lécher mon cœur », Gênes 01 de Fausto Paravidino en 2010 et Tristesse animal noir en 2011, le désir de travailler à partir d’œuvres contemporaines s’est renforcé. La création des Particules élémentaires en 2013 marque la première fois qu’un texte de Houellebecq est joué en France.
Pari osé mais radieusement réussi. Les principales thématiques du roman, de la libération aux désillusions (fin des idéaux de mai 68, misère sexuelle due au capitalisme, post-humanité) sont consciencieusement évoquées et les extraits du récit sont sélectionnés avec soin. Grâce à cela, le spectacle riche et rythmé parvient avec brio à développer les réflexions anthropologiques et les fantasmes science-fictionnels de l’un des plus grands et controversés auteurs contemporains.