par Luc Siegenthaler
Parlement / composition et mise en scène Joris Lacoste / du 27 au 29 mai 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
« Dans toutes les langues, jouer avec les mots est un passe-temps fort agréable, à la portée de tout le monde ». Joris Lacoste ne joue pas avec les mots : il les caresse, les maltraite et les questionne.
Dès les premières secondes de Parlement, une pluralité de discours, d’extraits de dialogues et de monologues résonnent dans la salle Charles Apothéloz. Sur scène, pas de jeux de lumière, pas de mouvements grandiloquents, pas de décor : uniquement un micro, une oratrice talentueuse, et des mots pour remplir un espace scénique et sonore.
Dans cette performance, Emmanuelle Lafon mobilise en permanence les références culturelles du spectateur. Du sermon d’église au discours politique de Marine Le Pen, en passant par la confession d’un candidat de téléréalité, aux questions de Julien Lepers, aux poèmes de Gertrude Stein et aux prévisions météorologiques, l’oratrice nous révèle la pluralité des univers langagiers que nous côtoyons et qui nous habitent. Mais le spectacle ne s’arrête pas à un simple jeu de connivence et de références à la culture « pop » ou « élitiste ». La richesse poétique de Parlement émerge d’une subtile association de sons, de mots, d’idées, de tonalités faisant coexister simultanément de manière improbable une multitude d’univers verbaux pour bercer, agiter et ébranler le spectateur. Tout d’abord amusé par l’incongruité des enchaînements de discours familiers, celui-ci se trouve au fur à mesure heurté par des rythmes et des sons de plus en plus inhabituels : les mots sont dans un deuxième temps prononcés sous une cadence effrénée dans une langue étrangère s’apparentant à une glossolalie, suivis ensuite de silences angoissants et de bafouillages. Perdu dans un monde verbal qui ne lui évoque plus rien de familier, si ce n’est la dureté matérielle des mots, le spectateur est confronté à une inquiétante étrangeté. Finalement, rythmés par le refrain « ce que nous défendons », les différents discours s’écourtent et se répètent : le langage devient de plus en plus morcelé et finit par se désintégrer.
Au-delà d’une création d’effets poétiques comiques ou angoissants, que nous dit Parlement ? Succession d’images et de discours fragmentés, cette performance semble bel et bien refléter la société médiatique contemporaine. Journaux, radio, télévision, facebook : par un simple geste de la main, nous basculons d’un univers culturel à un autre, sans logique et sans unité de valeur. Nous ne devrions donc pas être choqués devant la succession quelque peu arbitraire de ces différents discours. A moins que Parlement ne dévoile notre relation quotidienne à la langue et aux mots, à laquelle nous sommes sourds.