par Deborah Strebel
Haute-Autriche / de Franz-Xaver Kroetz / mise en scène Jérôme Richer / du 29 au 31 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemp des Compagnies) / plus d’infos
Haute-Autriche présente un couple dont la vie est régie par la société de consommation. Leur bonheur préconçu tend à s’effriter avec l’arrivée d’un enfant.
Assis côte à côte, Heinz et Anni semblent hypnotisés. Silencieux, ils observent droit devant eux et sont traversés par une série de sentiments que leurs expressions et gestuelles laissent parfaitement entrevoir. Leurs regards sont en réalité fixés sur un téléviseur qui n’est pas représenté sur la scène. Nous sommes dans les années 1970, ce jeune couple issu de la classe ouvrière vit inconsciemment sous l’emprise de la société de consommation à un degré tel qu’après avoir vu une émission sur Vienne, Anni souhaite vivement s’y rendre tandis que, suite à la lecture d’une annonce pour la vente de piscines, Heinz a soudain envie de s’en procurer une. Ce quotidien préfabriqué est bouleversé lorsqu’Anni révèle sa grossesse. Cette annonce coupe le souffle à Heinz. L’arrivée d’un enfant a forcément des conséquences sur le budget familial. Toutes les dépenses sont listées. Ce recomptage préfigure de multiples sacrifices. Au-delà de ces craintes financières, Heinz réalise qu’il n’est pas prêt et qu’il n’est peut-être pas celui qu’il a voulu être.
Pièce en trois actes, écrite par Franz Xaver Kroetz, jouée pour la première fois à Heidelberg en 1972, Haute-Autriche marque un tournant au sein de la production dramatique de l’auteur allemand : il délaisse alors les marginaux pour s’intéresser cette fois-ci aux petites gens. Jérôme Richer, depuis la création de sa Compagnie des Ombres en 2005, a mis en scène de nombreuses pièces de Pier Paolo Pasolini, Falk Richter ou encore Dario Fo mais a également proposé d’intéressantes créations engagées politiquement ou évoquant l’actualité dont Je me méfie de l’homme occidental (encore plus quand il est de gauche) (2011) et La Ville et les ombres (2008) en lien avec l’évacuation du squatt Rhino à Genève. Cela fait quelques années que ce français établi en Suisse souhaitait monter Haute-Autriche.
En réalisant ce projet, il se frotte au théâtre du quotidien sans pour autant tomber dans le documentaire. Prouesse réussie sans doute grâce à la scénographie qui refuse un réalisme trop évident. Le décor est composé d’un grand rectangle blanc percé au centre et accueillant un petit élément mobile. Cet îlot géométrique schématise la maison des personnages. A l’arrière-scène un écran reçoit, lors des scènes extérieures, des vidéos de paysages venant suggérer poétiquement diverses ambiances : la douce chaleur d’un été avec un beau panorama lémanique ou la mélancolie d’une journée nuageuse avec une place de jeu vide. Le jeu parvient aussi à s’éloigner du réel en adoptant des mouvements rigides et brusques à l’image des automates.
On note aussi une filiation bienvenue avec Benno Besson, suggérée surtout par les masques que portent les deux comédiens, inspirés de ceux que confectionnait Werner Strub. Jérôme Richer explique que le recours à ces fines cagoules de tissus donne aux personnages « une dimension archétypale et facilite l’identification des spectateurs ».
Déjà représenté une quarantaine de fois dans toute la Suisse romande, ce spectacle traitant de la tyrannie exercée par la société de consommation (ou par « le nouveau fascisme » comme l’appelait Pasolini), rythmé par la mélodie entêtante de la valse n°2 de Dimitri Chostakovitch, est l’occasion de découvrir, dans le cadre du Printemps des Compagnies au Théâtre des Osses, une manière poétique de représenter le théâtre du quotidien.