par Sabrina Roh
Parlement / composition et mise en scène Joris Lacoste / du 27 au 29 mai 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
C’est dans une farandole de mots et de sons que le public du Théâtre de Vidy a été emporté mercredi 27 mai. Dans un solo d’une heure, Parlement propose une immersion dans la matérialité de la langue ainsi qu’une prise de distance par rapport au pouvoir de la parole. Une expérience intense et réussie.
Bababa. Tahï tahï tahï. Bambambam. Des bruits qui forment des mots et des mots qui se transforment en bruits. Seule sur scène, telle la chanteuse devant sa partition ou l’oratrice face à son discours, la comédienne Emmanuelle Lafon donne corps à des enregistrements issus d’univers bien différents. Au final, un discours sans queue ni tête ou, au contraire, doué d’une centaine de sens.
C’est dans l’Encyclopédie de la parole que Parlement trouve sa substance. Particulière, cette encyclopédie créée par un collectif formé de poètes, plasticiens, musiciens, ethnographes, comédiens, chorégraphes, curateurs et réalisateurs radio, rassemble, depuis 2007, des enregistrements allant du dialogue de film au morceau de rap américain. Le metteur en scène Joris Lacoste s’est plongé dans cette base de données pour en extraire, découper et rassembler des extraits sonores. Le tout donne Parlement, un solo où l’écriture théâtrale prend vie à travers la comédienne Emmanuelle Lafon.
Tout d’abord poète, Joris Lacoste fait son entrée dans le monde des arts en tant que réel ingénieur de la langue. Si elle fait sens, la parole se caractérise en premier lieu par des sons, des silences ou encore par un rythme particulier. Dans le solo d’Emmanuelle Lafon, on reconnaît un extrait de Top Model, de l’émission Question pour un champion ou encore du conte La chèvre de monsieur Seguin. Mais l’idée de donner un sens à cette juxtaposition de textes est vite abandonnée, tant les bruits produits par la bouche de la comédienne prennent de l’importance. Ainsi, les habituels correcteurs et tics de langage prennent le pas sur la phrase en elle-même et Emmanuelle Lafon finit par s’adonner à des exercices métalinguistiques : répéter un même groupe de mots en changeant ton et articulation devient plus important que transmettre une information.
Esthétique, ce solo se veut aussi politique en donnant à réfléchir sur le pouvoir de la parole. Dans Parlement se suivent de près le discours autoritaire, la litanie et l’endoctrinement. Peu importe que certains d’entre eux soient déclamés dans un anglais trop rapide, le rythme et la musicalité de la parole nous permettent de définir de quel genre de discours il s’agit. Cette importance de la matérialité de la langue au-delà du sens explique peut-être pourquoi un orateur maniant l’art de la communication à la perfection peut convaincre des foules entières avec un contenu plutôt simpliste.
Ce qui aurait pu être seulement drôle prend donc une véritable épaisseur et ce, grâce à la performance irréprochable d’Emmanuelle Lafon. « C’est vraiment impressionnant de jouer devant autant de gens », souffle-t-elle une fois arrivée sur scène. Partant de la comédienne intimidée, elle effectuera un réel exercice d’acrobate en incarnant une centaine de voix. C’est finalement tout son corps qui joue la femme révoltée et la racaille de banlieue en passant par le jeune homme au cœur brisé. Si les passages d’un rôle à un autre sont nets, les extraits s’enchaînent admirablement, donnant ainsi l’impression d’un tout cohérent. N’ayant comme seuls accessoires qu’un micro et une partition, Emmanuelle Lafon s’impose en tant que virtuose de la parole, vue ici comme un répertoire musical infiniment grand.
Parlement est encore à voir au Théâtre de Vidy les 28 et 29 mai et sera suivi de Suite n°2, par le même metteur en scène, les 2 et 3 juin.