Farniente
Mise en scène de Sandra Gaudin / du 5 au 10 mai 2015 / CPO (Lausanne) / Critiques par Laura Weber et Léa Giotto .
5 mai 2015
Par Laura Weber
Le sable, le soleil et le pouvoir d’achat
Pourquoi part-on en vacances, finalement ? Sandra Gaudin engage, avec la compagnie vaudoise Un air de rien, un examen approfondi sur les congés payés. Derrière le repos promis par chaque départ en vacances se cachent des réalités économiques et sociales moins excitantes.
Lors de l’entrée en salle, les spectateurs se retrouvent face à un vacancier en tenue décontractée, à l’ombre d’un auvent. Plus loin, le musicien en marcel parfait les derniers accords de ses instruments. Dès les premiers instants, Farniente se donne apparemment comme une ode au temps libre et semble promettre un voyage délassant. Bercé par les interventions ponctuelles d’Arthur Besson à la guitare et à la clarinette basse, le temps s’écoule lentement, agréablement, en compagnie des cinq personnages. Le ton est léger et la pièce aborde avec humour les réalités triviales des vacances. Les plages couvertes de touristes et de déchets, la sensation délicieuse du soleil sur la peau, les coups de soleil, le beauf un peu trop collant, le sable collé entre les orteils…
Mais l’orientation de la pièce bifurque progressivement pour ne traiter plus que du monde du travail. Les personnages abandonnent leur tenue estivale pour porter des habits d’ouvriers du milieu du XXe siècle. Sandra Gaudin dénonce les engrenages pervers et aliénants qu’entretiennent les entreprises avec le congé payé. Farniente questionne notre rapport au temps et montre le conditionnement de l’individu par la société. Les vacances si reposantes, promises au début du premier acte, dévoilent leurs liens inextricables avec le monde du travail au sein duquel les établissements programment notre emploi du temps jusque dans nos divertissements. Pire encore, les vacances deviennent un secteur lucratif pour les agences qui vendent des séjours formatés.
Afin de mener à bien cette investigation artistique qui se propose d’étudier le développement socio-culturel du congé payé, la metteuse en scène mêle le théâtre au travail d’archives. Des écrans sont répartis comme les cases d’un damier sur les trois parois de la scène à l’aide de cordes tirées et entremêlées. Le jeu des acteurs est ainsi accompagné de documents audio-visuels de la RTS et c’est grâce à cette interaction entre les personnages et les archives que la pièce se forme. Les vidéos commencent d’abord seules puis ces témoignages d’anciens vacanciers sont rejoués pour prendre une nouvelle signification. Au premier acte, les personnages se présentent eux-même comme des acteurs, introduisant une forme de disponibilité aux diverses situations qui se présenteront. De cette sorte, ces archives datées et parfois à l’allure désuète prennent, ainsi insérées dans la pièce, une nouvelle profondeur et se transforment en terreau réflexif.
Si la pièce a pour vocation de sensibiliser le spectateur à l’envahissement du conformisme dans son propre temps libre, Farniente ne trahit pas son titre : la compagnie Un air de rien aborde cette thématique avec une douce oisiveté qui assure au spectateur un divertissement intelligent et amusant.
5 mai 2015
Par Laura Weber
5 mai 2015
Par Léa Giotto
Un air de rien
Qui sommes-nous lorsque, n’ayant plus d’obligations, nous pouvons enfin profiter de ces quelques jours de vacances desquels nous avons tant rêvé ? La troupe un Air de Rien se propose de questionner, sur un ton léger et décalé, notre rapport aux vacances en ce qu’elles constituent un phénomène social particulièrement illustratif de notre irrationalité.
Au travers d’un retour sur l’origine de ce phénomène social que sont les vacances, la troupe pose un regard cynique sur ce que nous sommes lorsque nous ne faisons rien. Plusieurs chapitres mettent chacun en avant un aspect différent de ce que sont et de ce qu’ont été les vacances, des premiers contacts avec la crème solaire à une rétrospective sur le combat pour les congés payés. À l’aide d’un support d’archives télévisées sur lequel rebondit le jeu des acteurs s’opère un retour sur notre propre rapport aux vacances.
Est-ce une fine critique sociale ? Un retour touchant sur ce que nos grands-parents et arrières-grands-parents ont lutté pour obtenir ? Ou simplement une comédie cynique qui cherche à pointer l’absurdité de certains de nos comportements de vacanciers ? Tous ces aspects s’enchâssent et s’enchaînent avec finesse et humour. Si la pièce n’est pas construite sur le modèle d’une intrigue, la réflexion suit néanmoins un fil rouge et s’avère être plus profonde que ce que l’on pourrait supposer au premier abord. Après le premier regard critique sur le côté superficiel et parfois ridicule des vacanciers, la pièce s’oriente rapidement vers un rappel de l’origine des vacances : ce droit, qui nous paraît aujourd’hui évident, relevait en son temps d’une véritable révolution sociale. Plusieurs stades de réflexion aboutissent sur la mise en perspective de ce que les vacances disent de nous lorsque, n’étant plus soumis aux règles du travail, nous nous retrouvons démunis face à l’oisiveté tant fantasmée.
La mise en scène des différents personnages hauts en couleur que nous sommes susceptibles de croiser ou d’incarner durant nos vacances est portée par des comédiens émérites qui jonglent avec naturel d’un caractère à l’autre et équilibrent humour et sérieux avec adresse. Les scènes sont accompagnées d’un jeu d’images jonglant sur les différents écrans disposés en profondeur et créant un phénomène d’association d’idées, parfois filmées simultanément, de manière subtile et efficace par un vidéaste intégré à la pièce. La musique assurée en direct par un musicien fait également partie intégrante du spectacle en posant à chaque fois une atmosphère avant même le début de la scène.
Active depuis près de dix ans, la troupe un Air de Rien propose ici un questionnement plutôt sérieux sur un ton charmant et décalé. Malgré le fait que le lien entre certaines scènes ressemble plus à une succession qu’à un véritable enchaînement, le tout reste bien construit et agréable à suivre. La troupe nous entraîne avec elle dans sa réflexion : ces vacances, tant espérées, tant fantasmées, que disent-elles de nous, en fin de compte ?
5 mai 2015
Par Léa Giotto