Être ou ne pas être

par Nicolas Joray

Pas grand-chose plutôt que rien / texte et mise en scène Joël Maillard / du 28 avril au 3 mai 2015 / Arsenic / plus d’infos / en tournée jusqu’au 17 mai 2015

 © SNAUT
© SNAUT

Des écouteurs suspendus au plafond amorcent une descente : on veut nous faire entendre un discours sur la décroissance. Finalement non, marche arrière. Terminer le spectacle par un poème, plutôt ? Jouant avec les possibles, Joël Maillard met en scène la contingence.

La première chose qui frappe est la configuration inhabituelle du lieu : une longue table entourée d’une petite quarantaine de chaises ; six lampes ; dix écrans. À ce banquet artistique, les spectateurs se font face. Les chaises, ce sont les leurs. Aucune assiette garnie sur la table, mais un boîtier contenant deux boutons. A priori, aucun acteur non plus. Tout au long de la pièce, la « machine » (entendre par là les écrans et les voix qui assurent la narration du spectacle) pose aux spectateurs des questions plus ou moins existentielles : est-ce que la personne en face de nous nous plaît ? est-ce qu’on pense que le monde va vers un mieux ? Les « oui », les « non », ainsi que les votes blancs sont collectés, puis communiqués par une voix ou via les écrans. Conceptualisé avec brio par Michael Egger, ce dispositif est remarquable dans la mesure où il sème le doute en articulant deux registres. D’un côté, on voit bien que le spectacle dispose d’une trame narrative solide, que les images et les discours ont été préconçus et que le spectateur ne dispose pas d’une marge de manœuvre très significative pour influer sur le cours de l’événement. Qui dit d’ailleurs que tous les résultats des votes affichés sont effectivement ceux des personnes présentes ? De l’autre, le lien entre les actions des spectateurs et l’action du spectacle est parfois visible : certains boutons clignotent, par exemple, après une question afin de révéler à tous la réponse des voisins ; un temps est parfois laissé pour faire germer une discussion dans l’assemblée. Sont donc articulés deux partis : celui de la « blague dramaturgique » et de l’« idée pour de vrai ». En filigrane de cette Landsgemeinde théâtrale, c’est toute la question du pouvoir qui est thématisée avec brio : qui sont les acteurs ? Joël Maillard et son équipe, bien sûr, mais pas pas seulement. Il semble y avoir une place pour le public : inconfortable parfois, stimulante souvent, réflexive toujours.

Invités au début du spectacle à prendre le point de vue des humains du futur et à jeter un regard sur les restes de l’Europe occidentale du début du XXIe siècle, les spectateurs adoptent une vision chère aux ethnologues : le décentrement. À travers ce regard, ils (re)découvrent les lieux communs de la modernité : bombardement publicitaire, misère affective, sentiment d’inutilité. Les images sont celles de zoos, dans lesquels les visiteurs côtoient pingouins et singes. Mais les protagonistes de ces vidéos deviennent ici à leur tour des animaux exposés aux yeux des spectateurs. Images de vidéosurveillance également : un homme qui est censé travailler à son bureau se livre à des activités inutiles et burlesques ; un homme qui répare un appareil électronique se laisse distraire par des actions absurdes. Et nous, ne sommes-nous pas aussi surveillés par la « machine » ? Le tableau des temps modernes dressé par ce spectacle est plutôt noir. De temps à autre cependant sont introduites des lueurs d’espoir : et si l’on se parlait un instant, maintenant ? et si l’on dansait sur la table ? et si l’on repeignait les affiches publicitaires en noir ? Ce ne serait pas grand-chose, mais ce serait mieux que rien.

Seul bémol : la toute fin – on laisse la surprise – fait surgir un discours plus conventionnel, sur le fond comme sur la forme. Si cela introduit bien une rupture avec les ambiances précédentes en rompant avec le mode de la rêverie, on peut s’interroger sur la nécessité d’introduire (voire regretter que soit ainsi introduit in fine) un « clou » du spectacle. En même temps, les choses peuvent être ou ne pas être…